Critique de Dorothy, à partir des oeuvres de Dorothy Parker, vu le 16 juillet au Théâtre du Chêne Noir
Avec et mis en scène par Zabou Breitman
J’ai découvert Dorothy quand le spectacle a été annoncé au Théâtre de la Porte Saint-Martin. J’étais étonnée qu’un seul en scène sur un sujet qui me semble peu connu du grand public (en tout cas totalement inconnu de moi) soit joué dans la grande salle, mais je connais suffisamment l’exigence de Jean Robert-Charrier pour que la confiance l’emporte sur la méfiance. Et puis j’aime beaucoup Zabou Breitman.
Apparemment, je ne suis pas la seule. La salle est comble. C’est fou : vous mettez la même affiche, le même titre, et vous enlevez le nom de Zabou Breitman et je pense qu’il devient très difficile de remplir même la plus petite salle du OFF. Je pense que la comédienne le sait, d’ailleurs. Et, au début du spectacle, elle en joue : elle est déjà là quand on entre dans la salle, discute parfois un peu avec les spectateurs du premier rang, puis, quand ça commence, elle cabotine un peu, s’adresse à son public directement, rigole avec lui. Je suis d’abord un peu déçue : ce n’est pas vraiment ce que j’escomptais.
Et puis elle entre dans le vif du sujet : après nous avoir raconté l’anecdote de l’enterrement de Dorothy Parker, elle se met à interpréter ses textes. Et là, quelque chose se passe. L’instant d’avant, c’était Zabou Breitman qui faisait son show sur scène, et soudain les personnages de Dorothy Parker prennent vie sur scène. Ce sont des petites scènes, un peu comme des sketchs, qui s’enchaînent devant nos yeux ébahis. Cinq moments de plongée dans l’Amérique des années folles.
Avant de saluer la prestation, je tiens à saluer l’artiste dans son choix, car Zabou Breitman a ici tout à perdre : personne ne sait vraiment pourquoi on est dans la salle, ce qu’on va voir, tout le monde est là pour elle, elle n’a pas le droit à l’erreur. Tout repose entièrement sur elle – d’ailleurs, peut-être pour le souligner, c’est elle qui assure la régie sur scène : elle lance son micro, gère la lumière sur scène et dans la salle, maîtrise les effets sonores.
C’est un challenge culotté – et réussi. Elle s’efface complètement derrière ses personnages, si bien qu’elle donne l’illusion de multiples interprètes. Ça donne l’impression de quelque chose de fin, drôle, léger, sans prise de tête, mais c’est surtout incroyablement travaillé, millimétré – c’est une incroyable performance d’actrice. On sent le plaisir de l’artiste à être sur scène et à proposer ce spectacle complètement libre, à l’image de l’autrice à qui il rend hommage, et le plaisir se répand dans le parterre de spectateurs.
J’avais peur du naufrage, j’ai été embarquée.
© Pascal Victor / Opale