Le corps des femmes est un champ de bataille
Auteur : Laurent Chabin
Éditions : Coups De Tête (6 Juin 2013)
ISBN : 978-2896710706
220 pages
Quatrième de couverture
Le 1er septembre 2009, Lee Chatham, un écrivain américain reconnu coupable du meurtre de Léo Cavanagh, un écrivain canadien, et de son épouse, Maurine, est exécuté dans une prison du Missouri, et ce malgré qu'il ait toujours nié sa culpabilité.
Lara Crevier, étudiante en littérature et passionnée par les oeuvres des deux écrivains, tente de comprendre ce qui a pu pousser Chatham à assassiner Cavanagh et à violer et à tuer Maurine, dans sa maison de St. Louis, le 11 septembre 2001.
Mon avis
Vous avez dit polar ?
Un univers particulier pour un roman à la fois fascinant, dérangeant, déroutant, bluffant, percutant, mais qui laissera difficilement indifférent.
Il sera classé au rayon « policiers » parce qu’il y a des meurtres et une « enquête ». D’ailleurs, peut-on réellement appeler « enquête », la recherche d’une jeune étudiante qui, intéressée, par les textes d’un écrivain, décide d’écrire son mémoire de maîtrise sur l’œuvre de celui-ci ?
C’est elle qui dira « je » dans cet opus, expliquant son cheminement, ses recherches. Au-delà des prospections et des rencontres de cette femme pour comprendre l’homme dont elle étudie les textes, c’est tout ce qui est lié à l’écriture et à la personnalité des écrivains qui est vraiment captivant.
Les deux auteurs morts au début du livre, sont des hommes dont l’un est sur le déclin, l’autre une étoile montante. Le principe des vases communicants, comme si la notoriété de l’un faisait de l’ombre à l’autre, comme si la sève de l’inspiration pompée par l’un ne pouvait plus être fournie à l’autre….
Au cœur de ce roman, les nombreux démons des créateurs : Serais-je plus célèbre mort ou vivant ? Et si je n’ai plus d’idées ? Et si un de mes élèves me dépasse, moi, le maître ? Où puiser l’inspiration, comment être connu ? Ou tout simplement comment devenir célèbre lorsqu’on est persuadé d’avoir du talentmais qu’on n’est reconnu par personne ?
Et toutes ces questions abordées par l’intermédiaire de dialogues, de quelques phrases fortes qui bousculent ….
« ….se sentait moins intéressé par la création littéraire en tant que telle, et il était davantage tourné vers les effets de la littérature sur les lecteurs. Les livres, selon lui, n’étaient pas grand-chose en eux-mêmes. Seule comptait l’interprétation que chaque lecteur pouvait en faire, l’impact qu’un texte pouvait exercer sur son environnement. »
« ….il considérait le livre comme une arme. »
Mais aussi une approche de la justice américaine qui va vite, qui ne s’interroge pas trop loin, des fois que ça gêne….. Ainsi qu’une critique rapide et acerbe des milieux dits littéraires où on ne pénètre pas si facilement qu’on pourrait l’imaginer….
Quelques scènes de sexe un peu torrides, pas forcément indispensables à mon sens, mais qui créent le climat dans lequel se retrouve celui ou celle qui lit. L’auteur nous provoque, nous irrite, nous envoûte (ou pas) mais il instille une atmosphère qui captive, qui attire comme un aimant ….
Son écriture est sèche, avec plus de questions littéraires que de réflexions sur « l’enquête ». Il y a de temps à autre ce qu’on peut assimiler à des parenthèses, comme s’il avait décidé de ne respecter aucun « code », ne suivant que son instinct, les mots étant plus forts que tout… les personnages ayant pris le dessus sur lui et l’entraînant en dehors de sentiers battus. Le vrai, le faux se mélangent allègrement, on est ballotté, désorienté, visitant les différents lieux sur la pointe des yeux, de peur que tout cela déteigne sur nous….
Parce qu’il faut le reconnaître, les personnages sont eux aussi dérangeants, totalement atypiques, de la jeune étudiante qui n’a pas froid aux yeux à Lee Chatham, assassin aux mobiles troubles en passant par les individus que Lara Crevier va rencontrer au cours de ses pérégrinations : professeurs peu nets et autres hommes (tiens les femmes sont plutôt transparentes dans l’ensemble …)
C’est un roman étonnant, qui ne peut être classé dans une aucune catégorie, dont on peut se poser la question de savoir si on l’a apprécié ou pas… Mais ce qui est certain, c’est que Laurent Chabin a réussi une sacrée performance au niveau du contenu* ….
* surtout lorsqu’on découvre dans les premières pages, les lignes suivantes :
Plusieurs des personnages et des lieux de ce roman --rebaptisés ou déplacés—existent ou ont existé. Aucune ressemblance avec des personnes ou des lieux réels n’est donc fortuite.