Critique de Amour amère, de Neil Labute, vu le 17 juillet 2021 à l’Espace roseau teinturiers (21h10)
Avec et mis en scène par Jean-Pierre Bouvier
C’est ma mère qui a repéré le spectacle sur une des affiches placardées dans Avignon : le nom de Jean-Pierre Bouvier avait attiré son attention. Si le nom me disait quelque chose, je ne l’avais jamais vu sur scène : c’était l’occasion. J’aurais du mal à cacher une certaine appréhension : mes précédentes rencontres avec Neil Labute n’avaient pas franchement de quoi me réjouir. Mais j’aime les comédiens par-dessus tout, et j’ai décidé de faire confiance.
Amour amère, c’est la confidence d’un homme qui vient d’enterrer la femme qui a partagé sa vie. Il sort de l’église, ou peut-être s’échappe-t-il quelques instants du verre du souvenir, encore que les quelques accessoires scéniques nous rappellent trop le cercueil pour qu’il ne soit pas dans un lieu sacré. Et il nous parle d’elle, de leur relation, de ce qu’ils ont vécu, de ce que sa perte représente à ses yeux.
Le texte a quelque chose de vieillot, dans sa vision de la femme, cette manière qu’a notre personnage de s’extasier devant un décolleté, sa passion pour les voitures – les vraies voitures, pas celles qu’on conçoit aujourd’hui, vous voyez le genre. C’est un texte de boomer, si vous me passez l’expression. Mais il n’est pas si mal ficelé, c’est un bon texte de théâtre, il avance, et surtout il permet à Jean-Pierre Bouvier de dévoiler une partie de son talent.
Il a une voix comme une caresse. C’est la première chose à laquelle je pense lorsqu’il prend la parole. C’est une caresse douce mais franche, le contact de sa voix avec notre peau est assumé, il ne tremble pas. Lorsqu’il s’emporte, la caresse est toujours là, mais le contact est comme plus serré, comme s’il nous transmettait son émotion en produisant des ondes qui cherchent à pénétrer plus ou moins loin dans notre corps. Il a quelque chose de captivant. Même quand il nous parle de sa passion pour les voitures, il ne nous perd pas, comme s’il avait ce texte dans la peau – il y a quelque chose de viscéral dans sa manière de raconter.
Le texte laisse finalement beaucoup de mystère autour de cette relation qui nous est décrite de manière parfois superficielle ; on aurait aimé entrer davantage dans leur intimité. Tout ce qu’on peut deviner d’eux, je veux dire ce qu’on parvient à comprendre de la spécificité de cette relation, pour la dessiner dans ce qu’elle a d’unique et d’intéressant pour le spectateur, tout ce qu’on décèle c’est à travers lui, à travers son incarnation au-delà même des mots. Il parle une autre langue que celle des mots. Une langue du corps et de l’émotion.
Un grand comédien qui mériterait une salle bien plus remplie.