Chaque mois, dans ses 10 derniers jours, tout comme je le fais pour le cinéma (dans ses 10 premiers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: la littérature.
Lire, c'est choisir de plonger dans la tête d'un autre, c'est voir avec les yeux d'un autre, c'est nourrir ses curiosités, c'est appendre autrement, c'est confronter ses idées préconçues, c'est mettre au défis différentes visions, c'est découvrir des univers, c'est rire, craindre, être fasciné ou pleurer.
Lire, c'est apprendre à respirer différemment. Et respirer, c'est vivre.
LE TAMBOUR de GÜNTER GRASS
À ses 3 ans d'anniversaire, Oskar, nouvellement orphelin, choisit de cesser de grandir. Hanté par la mort de ses parents et battant sur un petit tambour, il nous raconte, parfois au je parfois au il, son extraordinaire vie, du long cauchemar du Nazisme jusqu'aux aventure post-anarchiques de l'Allemagne d'après-guerre.
Quand on entend Oskar battre son tambour, en protestation face à quelque chose, comme lecteur, il faut alors choisir entre réalité et folie. Oskar est fier dans son asile. Il a choisi de s'y blottir. Délibérément. Tout comme il a choisi de cesser de grandir. Il a ce don de pouvoir ne plus grandir mais d'entendre tous les sons du monde externe. La santé mentale est un dangereux état d'esprit selon le narrateur, qui n'est pas toujours fiable. Il se fragilise sur l'étendue d'une vie, et quand le monde surchauffe. On ne peut jamais garantir garder une main ferme sur ce qui entoure en tout temps. Oskar nous le rappelle vivement.
L'un des prérequis de la santé mentale, selon Oscar Wilde, est d'être en désaccord avec la majorité du peuple britannique. Le Oskar de ce roman serait tout à fait d'accord. Dans son univers à lui, si la santé mentale de l'Allemagne se porte bien, ce serait parce qu'elle pense tout le contraire du nazisme. Mais non, le nazisme fait rage. Et Oskar l'encaisse. Si la santé mentale de l'Allemagne est bonne, Oskar choisit alors d'être dans l'autre équipe. Ça justifie son placement en institution.
Cette plongée dans l'oppression est une exploration de l'irrationnalité et des excès de l'Homme. Des excès qui sévissent encore de nos jours, ailleurs, sous diverses formes. L'enlèvement des lycéennes de Chibok ou l'extermination des ouïghours en Chine en sont un exemple. C'est ce qui rend la lecture, parfois indigeste. De réaliser que les excès atroces dont l'homme est capable peuvent encore si dommageables.
On y lit aussi une vision de l'échec humain. La description du chaos est à prendre avec discrimination puisque l'histoire nous est racontée par un patient de l'asile. Mais elle est aussi pleine de vérité.
Le livre de 1959 est le tout premier de l'auteur Allemand, et le premier de sa trilogie de Dantzig. Il a été adapté en film 20 ans plus tard, lui a valu le prix Nobel de littérature de 1999, et l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, principalement pour sa fabuleuse construction narrative.
Le livre sera l'un des touts premiers opérant dans le réalisme magique européen. Un style davantage Sud américain ou asiatique.
Oskar bat encore son tambour de pleine force.
Entendez-vous le bruit de son tambour?