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(Anthologie permanente) Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

Par Florence Trocmé


Voyage-ManuscritLa revue *2021 publie quelques poèmes d’un futur livre de Gérard Cartier, Le Voyage intérieur (à paraître chez Flammarion en 2023).
Les carpes (Étangs de Lindre)

Vaste étang aux sources de la Seille  
l'eau parfois traversée d'images   une aile
ou les créatures du ciel inférieur  
  
carpes du Rhin    douces et fades
cyprinus carpio      dont le duc de Lorraine
offrit 6o à son puissant voisin     vives
entre des linges 2 fûts sur un tombereau
geignant par les chemins défoncés
pour peupler les bassins de Fontainebleau
ainsi les Romains   depuis l'Asie Mineure
et de cloître en cloître les bénédictins
pour réjouir de vase leurs longs carêmes
mais qu'importe le commerce du monde
à qui voit l'au-delà   une eau verte
profonde   où le temps a cessé  
          (48°48'14,5"N - 6°46'18,7"E)
Les arcades (Louhans)

Un claquement de talons sous les arcades
   brusque illusion petite Turin
oubliée de l’ère industrielle   jetée
au milieu d’un lacis de ruisseaux pourtant
en 2 piliers me point   à l’improviste
la nostalgie   que me font à présent
   les hermines de la confrérie
des poulardiers   et les palmiers du bailli
je vivrais aussi bien les yeux fermés
et mieux   j’entends monter du fond des années
   une voix douce-amère   il n’est
d’autre géographie que celle sensitive
que l’on porte avec soi   d’autre voyage
qu’intérieur   connaissance nouvelle
          (46°37'45.6"N - 5°13'19,8"E)
Gérard Cartier, in revue * 2021, pp. 153 et 160
Présentation du livre par l’auteur :
Les enfants de la IIIe République ont appris à lire dans Le Tour de la France par deux Enfants, le manuel de lecture d’Augustine Fouillet, alias G. Bruno (pseudonyme choisi en hommage au philosophe italien du prophétique Banquet des cendres, qui mourut en 1600 sur les bûchers de l’Inquisition). On y voit deux orphelins lorrains quitter leur village, passer clandestinement la frontière (Alsace et Lorraine étaient alors rattachés à l’Allemagne) et faire un tour de leur pays perdu à la recherche de leur famille, prétexte à un cours global où sont présentés la géographie et l’économie, l’Histoire, les Grands Hommes et l’Histoire naturelle. Près d’un siècle et demi plus tard, dans le contexte des débats sur « l’identité française », l’écrivain et géographe Jean-Christophe Bailly publiait Le Dépaysement, recueils de récits qui avait pour objet de dessiner le portrait de la France contemporaine : il y prélève des éclats de réalité pour montrer la grande diversité de notre pays.
Le Voyage intérieur s’inspire de ces deux exemples, sous la forme d’un recueil de poèmes. Il commence à Phalsbourg, le village lorrain d’où sont partis André et Julien, les deux enfants de G. Bruno, et se développe en une longue (et triple) spirale qui aboutit place du Châtelet, à Paris, au Zimmer, sous le portrait d’Anne Brochet. Entre-temps, on aura traversé la plupart des régions françaises et fait quelques incursions dans les pays limitrophes, car un pays est aussi fait de ses voisinages, occasions de poèmes en langue étrangère – certaines langues intérieures sont aussi évoquées : francique, arpitan, provençal, basque, etc., arabe, argot et même braille… Tentative de restitution totale de la réalité contemporaine en 365 poèmes.
On peut faire le Voyage en cliquant sur ce lien :
Dernier poème du livre que l’on peut lire en ligne
Anne B. (Au Zimmer - Place du Châtelet)

Confus ce soir. étourdi par le long voyage. un simple d’esprit au pied d’une icône – Anne Brochet, front pur, passion dévorante : Jeanne au bûcher… s’efforcer d’être encore, les yeux perdus dans le reflet des vitres, où le monde se dévide par saccades. des filles chimériques. des envols d’oiseaux. d’étranges machines. un coin de bistrot vaut le Passage des Panoramas. agitant par instinct le stylo à poussoir. des gribouillis sur un quart de feuille, des mots indéchiffrables. bricoler des poèmes, quand tout court à sa fin ? on m’épie à genoux (o, si c’était Anne Brochet !) : un aveugle m’invente. me compose des hasards de l’instant. un guéridon, un portrait au noir luisant dans la pénombre, un verre de gewurztraminer. assis dans les ors et les pourpres. dévisageant le vide. comptant les déclics de l’appareil. combien, pour me rendre à la vie ? combien, pour Anne Brochet ? non pas naturelle, mais évidente. vérité sans intention : beauté libre – ce qu’à nos bégaiements est la grande forme lyrique. concurrence déloyale… nous qui peinons pour un mot, pour une image. la mémoire de l’appareil est pleine. le jour penche. un peu de nacre au fond du verre. à présent je peux vieillir.
          (48°51'27,9"N - 2°20'49,2"E)


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