Aujourd’hui, la plus prestigieuse université d’Argentine, la UBA
(Universidad de Buenos Aires), la mieux classée au niveau
internationale, fête les deux cents ans de sa fondation, sur
l’impulsion de Bernardino Rivadavia (Buenos Aires, 1780 -
Cadix, 1845), alors ministre de la province de Buenos Aires et futur
premier Président de la République argentine (1).
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution
En
1821, cela faisait longtemps que Buenos Aires aspirait à avoir son
université mais le régime colonial évitait la multiplication de ce
type d’établissement : l’administration royale ne voulait
pas de coloniaux trop bien formés. Il lui suffisait qu’il existe
dans les colonies un petit nombre d’enseignants, presque
exclusivement chez les clercs, quelques théologiens afin d’éviter
les dérives religieuses, des prêtres diocésains (2),
des médecins et des juristes (notaires et avocats) (3).
Il fallait pour cela que les habitants de Buenos Aires partent faire
leurs études à Córdoba,
à 600 km de la capitale.
Un tableau réalisé bien après l'événement par Antonio Gonzalez Moreno
représentant la cérémonie de fondation de l'université
visiblement inspiré par David et son sacre de Napoléon
Ce tableau n'a aucune valeur documentaire
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution
En
1778, deux ans après la création du vice-royaume du Río
de la Plata et l’élévation de Buenos Aires au rang de capitale
vice-royale, la ville demanda au roi Carlos Ⅲ
le droit d’ériger le collège San Carlos qui venait d’être
créé sur les vestiges du collège abandonné par les jésuites
après leur expulsion, onze ans auparavant. Le roi accepta mais il
mit des conditions que la ville ne put pas (ou ne voulut pas)
satisfaire et en 1786, le riche marchand Domingo Belgrano envoya deux
de ses cadets, Manuel et Francisco, étudier en Espagne. Il préférait
cela pour eux à les envoyer à Córdoba comme leurs trois aînés.
Il en avait désormais les moyens…
L'entrée de l'université (Manzana de las Luces)
à la fin du 19e siècle ou au début du suivant
Le décret de création de l’université, signé le 9 août 1821, fut donc l’un des actes fondateurs de l’indépendance, juridiquement proclamée cinq ans plus tôt (9 juillet 1816). Et le 12, la bonne société de Buenos Aires se rassembla à l’église San Ignacio, qui existe toujours, et on procéda selon les traditions hispaniques à la fondation de l’institution, avec ses cinq premières facultés, toutes installées dans ce qui est aujourd’hui la Manzana de las Luces, le grand complexe qui avait abrité la maison provinciale de la Compagnie de Jésus, au cœur du centre historique de la ville, Monserrat.
Un
siècle plus tard, la population ayant considérablement augmenté,
le lieu était devenu beaucoup trop exigu. L’université avait
commencé à s’étendre un peu partout à travers la ville où elle
occupait différents bâtiments. Elle a quitté définitivement son
berceau historique au cours des années 1960 et celui-ci est devenu
un musée, que le gouvernement de Mauricio Macri a complètement
abandonné, au point que des planchers se sont effondrés et qu’il
a fallu fermer les lieux qui devenaient dangereux.
Cliquez pour une haute résolution
Vous y découvrirez la première femme diplômée de l'Argentine,
la première médecin et César Milstein, avec son grand sourire
Infographie Clarin
Au
cours de ses deux siècles d’existence, la UBA a formé cinq prix
Nobel, dont trois en science, parmi lesquels le docteur en médecine
César Milstein, héros national de l’année 2021, et rien moins
que dix-huit présidents (dont trois chefs d’État
anticonstitutionnels dans les années 1930). A l’occasion d’un
tel bicentenaire, il fallait faire les choses en grand malgré la
crise sanitaire. L’Argentine a donc pressé une médaille
commémorative et publié une estampe officielle, le tout étant
fièrement présenté sur le site Internet de l’université.
Les présidents argentins issus de la UBA
En bas, les trois à gauche sont des présidents anticonstitutionnels
Cliquez sur l'image pour une haute résolution
Ce
soir, à 19 h, le président Alberto Fernández, qui a étudié
puis enseigné le droit pénal à la UBA jusqu’à sa prise de
fonction présidentielle, rejoindra le recteur de l’université à
la faculté de droit, un grand bâtiment de style néoclassique situé
à Recoleta. Ensemble, ils distingueront deux cents personnalités
issues de ses amphithéâtres et qui se sont illustrées dans tous
les domaines. Parmi elles, se trouvera Horacio Rodríguez Larreta,
actuel chef de gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires et
le plus crédible des leaders de l’opposition ultralibérale,
depuis que Mauricio Macri dégringole dans l’estime générale.
La fac de lettres en 2011... comme toutes les fac de lettres !
Cet anniversaire figure à la une de Clarín et de La Prensa mais pas de Página/12 qui a préféré reporter le traitement de l’info dans son supplément hebdomadaire consacré aux questions universitaires où il fait l’objet d’un dossier développé. En revanche, la une de La Nación n’en fait pas mention, ce qui ne manque pas d’interroger dans le quotidien fondé par Mitre.
© Denise Anne Clavillierwww.barrio-de-tango.blogspot.comPour
aller plus loin :
lire l’article d’ouverture du supplément Universidad
lire l’article de La Prensa d’aujourd’hui
lire l’article de La Prensa publié hier
lire l’article, richement illustré, de Clarín
lire l’article, richement illustré, de La Nación
accéder au dossier disponible sur le site Internet de la UBA
(1)
Personnage étrange et ambivalent, aujourd’hui très controversé.
D’abord parce que premier président de la République, il est mort
en exil en Espagne, alors que l’ancienne puissance coloniale
n’avait toujours pas reconnu l’indépendance de ces anciennes
possessions américaines. Ensuite parce qu’il a passé sa vie à
intriguer, y compris au sein du camp indépendantiste auquel il
appartenait. Également
parce qu’il n’a jamais cessé de combattre José de San Martín
et de lui tendre des pièges d’une mesquinerie inouïe, pour des
raisons qui, sans
aucune substance politique sérieuse, semble
ne relever que d’une basse jalousie. Enfin, parce que les
dirigeants de la República
Conservadora (1860-1880), une étape capitale de l’histoire
argentine, conduite par Bartolomé Mitre, Domingo Sarmiento et
Nicolás Avellaneda, l’ont mis sur un piédestal et en ont fait une
figure tutélaire du pays, avant de devoir se raviser et de placer
Manuel Belgrano et José de San Martín largement au-dessus de
la pâle figure de Rivadavia parce que la mémoire populaire rejetait
définitivement celui-ci.
(3) La formation médicale était alors très médiocre, la formation juridique semble avoir été de plus haut niveau.