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(Anthologie permanente) Stephen Romer, Le fauteuil jaune

Par Florence Trocmé


Stephen Romer  Le fauteuil jauneLes Editions Le Bruit du temps publient le fauteuil jaune de Stephen Romer.
Schegól

Le chardonneret jacasse
au-delà de lui-même, il met le feu
à la steppe aride
du temps qui s'écoule,
d'un bond, telle une flèche
il est rentré chez lui
par son trou dans le laurier,
pour confectionner son nid,
au coeur
de la continuité où il vole,
un éclair rouge
dans l'esprit affamé.
Schegól

The goldfinch chatters
beyond himself, ignites
the dreary steppe
of intervening time:
with a bob and a dart
he has come home
to his hole in the laurel,
to his nestmaking business
at the heart
of continuity where he flies,
a flashback of red
in the famished mind.
/
Impénitent

Je descends jusqu'à cette grande vacance
du fleuve qui coule bas mais imperturbable,
force qui poursuit inlassablement ses fins.
Chaque fois le courant me porte
plus loin de mon baluchon sur la rive
et me parviennent de plus en plus,
des nouvelles d'amis malades,
d'incendies indomptables, de tsunami, de famine,
d'un viaduc qui s'effondre en déversant sa charge.
Le fleuve m'emporte, parfois assez loin,
et je me laisserais bien aller avec le courant,
mais toujours je l'affronte et oblique vers la rive.
L'impénitent bien-être après une baignade,
de se chauffer au soleil avant de fouler
les rayons du chaume jusqu'à la voiture.
Incorrigible

I go down to the great abeyance,
river running low but unperturbed,
a force pursuing her ends.
Every time the current carries me
further from my bundle on the shore
and news comes increasingly
of the illness of friends,
of wildcat fire, tsunami, famine,
a viaduct that breaks and sheds its Joad.
I too am borne away, and there are times
I would let myself go with the current
but then I breast it and oblique to the bank.
Incorrigible well-being after a bathe,
to be warmed by the sun
and tread the gleaming stubble to the car.
Stephen Romer, Le fauteuil jaune, traduction de l'anglais par Gilles Ortlieb et Antoine Jaccottet, Editions Le Bruit du Temps, 2021, 208 p., 22€
Ce volume vient compléter, avec un choix de poèmes plus récents – dont une grande part sont inédits en anglais – le premier recueil de poèmes de Stephen Romer paru sous le titre Tribut aux éditions Le temps qu’il fait, en 2007 (traductions de Gilles Ortlieb, Paul de Roux et Valérie Rouzeau). Il donne au lecteur français une nouvelle occasion de découvrir l’un des poètes anglais les plus ‘versatiles’ et européens de sa génération, dont l’œuvre se fonde sur un dialogue tour à tour émouvant ou ironique, avec les ‘phares’ que sont pour lui Baudelaire, Nerval, Laforgue ou Valéry. La langue, la culture française a toujours été, il l’affirme dans son avant-propos, la source de son « parlando érotique », l’aidant à faire face aux ‘intermittences du cœur’ dans des poèmes où l’émotion est scrutée par l’intellect. Mais Stephen Romer n’a pas oublié non plus ses maîtres anglais. Et l’on peut penser à ‘La chanson d’amour de J. Alfred Prufrock’ de T. S. Eliot pour cette forme d’humour subtil, très britannique, qu’il retourne le plus souvent contre lui-même et la figure du poète aux prises avec ses chimères, mais dont il sait aussi se servir pour lancer quelques flèches aux désordres de l’époque, dans des poèmes narquois qui sont autant d’actes de résistance à la langue de bois actuelle. Comme l’écrit l’essayiste Adam Philipps : ‘Romer est l’un de nos meilleurs poètes contemporains parce qu’à partir de cet héritage complexe, il a su se forger un idiome personnel parfaitement distinct.’

Stephen Romer est né en 1957 dans le Hertfordshire. Après des études de lettres à Cambridge, il s’installe en France, à Paris puis au bord de la Loire, depuis qu’il est Maître de Conférences au département d’anglais de l’Université de Tours. Il a également enseigné aux États-Unis, et depuis quelques années à l’Université d’Oxford (il est actuellement « Lecturer » au Brasenose College). Auteur rare, il a publié en anglais quatre recueils de Poèmes : Idols (1986), Plato’s Ladder (1992), Tribute (1998) et Yellow Studio (2008), ainsi qu’une anthologie sous le titre Set thy Love in Order (2017). Également traducteur, il a notamment publié, avec Jenny Feldman, Into the Deep Street, anthologie qui réunit sept poètes français contemporains, de Jean Follain à Gilles Ortlieb. Il est l’un des plus jeunes poètes retenus pour figurer dans l’Anthologie de la poésie anglaise de la « Bibliothèque de la Pléiade ».



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