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Charles Bukowski – Cloué dans l’univers

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Charles Bukowski – Cloué dans l’universje sais seulement d’où je
viens.
j’ai bien failli tout
perdre.
je restais assis dans des escaliers
pendant des heures,
sans bouger.
et ces escaliers n’étaient
même pas à moi.

je ne veux pas dire que j’étais un
crétin.
je veux dire que
j’étais complètement
indifférent.

je m’en serais foutu, si vous étiez venu
pour me tuer.
je ne vous en aurais pas empêché.

je me trouvais dans un lieu qui
ne signifiait rien pour
moi.

j’ai trouvé des endroits où demeurer.
petites chambres. bars. cellules.
le sommeil et l’ivresse me semblaient
seuls
possibles.
tout le reste me semblait
absurde.

une nuit je me suis assis et j’ai regardé
le Mississippi toute la nuit.
je ne sais pas pourquoi.
le fleuve coulait et il
puait.

j’avais toujours l’impression d’être
dans un bus
interurbain
qui m’emmenait
quelque part.
de regarder par une fenêtre
crasseuse le
néant.

j’ai toujours su combien
d’argent j’avais
sur moi.
par exemple un billet de cinq dollars et deux
de un dans mon portefeuille
et une pièce de cinq cents, une de dix et
deux pennies dans ma poche
avant droite.

je n’avais aucun désir de parler
à quiconque ni que l’on
me parle.

on me considérait comme un
paumé.
je mangeais très peu mais
j’étais étonnamment
robuste.
une fois, dans une usine
les gars, les costauds
essayaient de soulever du
sol un gros morceau de
métal.
ils y ont tous échoué.

c’était vraiment lourd.

«Hé, Hank, viens essayer!» ont-ils
ricané.

j’y suis allé, je l’ai soulevé
d’une main, je l’ai reposé,
je suis retourné au
travail.

j’avais gagné leur estime
mais je n’en voulais
pas.

des fois je baissais
tous les stores d’une chambre
et je restais au lit une
semaine.

j’agissais à ma guise
mais ça n’avait
aucun sens.
je n’avais pas d’idées.
je buvais.
et je buvais.
et je buvais.

je n’étais pas seul.
je ne me faisais pas pitié.
simplement j’étais pris dans une situation
où je ne pouvais rien trouver
avec quoi
fonctionner.

j’étais un jeune homme
vieux de mille ans.

maintenant je suis un vieil homme
vieux de mille ans.

***

Charles Bukowski (1920-1994)«Screwed within the universe», paru dans la revue World Letter, éditée par Jon Cone à Iowa City, n° 4, 1993 – Lettres documentaires XXXV (juin 1993) – Traduit de l’américain par Philippe Billé.


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