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Le punch des amazones

Par Tobie @tobie_nathan

Boxe en plein air

Tobie Nathan publié le 26 août 2021

De plus en plus d’amateurs revêtent les gants pour s’entraîner dans les parcs et jardins. Et parmi eux, nombre de femmes. Culte du corps, féminisme en action ou prophétie de Platon enfin réalisée ?

Le punch des amazonesArticle issu du magazine n°152 août 2021Lire en ligne

Flâner sur les quais de la Seine. Enfant, nourri des aventures d’Arsène Lupin, je me voyais descendre le fleuve dans la cabine d’une péniche. Aujourd’hui encore, j’entends les appels du large dans les cris des mouettes et j’aperçois quelquefois, à la pointe de l’île de la Cité, deux jeunes gens enlacés, écho de mes furtives amours d’étudiant. 

Levée du confinement. Balade sur les chemins de halage. S’il est moins romantique que dans mes souvenirs, le spectacle est certainement plus pêchu. Depuis le musée d’Orsay jusqu’au quai Branly, dans un décor de cinéma, c’est Los Angeles à Paris. Agrès, haltères, jogging… Corps dénudés, muscles dessinés, sauts à la corde à la vitesse de l’éclair, démonstrations de skateboard. Suspendus aux barres, des corps magnifiques font des démonstrations acrobatiques. D’autres, en tenue de sport, par groupes de dix ou de vingt, transpirent sous les ordres d’un coach sportif. Mon attention est attirée par les boxeurs. Il y en a partout. Et ça cogne ! On entend le bruit sourd des gants qui s’affrontent. L’initiateur encourage l’impétrant. « Plus haut la garde ! »… « Frappe ! »… « Le gauche maintenant ! Allez, plus fort ! » 

La mode est au boxing training sous la direction d’un entraîneur personnel. La boxe – sport populaire qui a longtemps permis à des jeunes gens issus de milieux défavorisés de progresser dans la société à la force de leurs poings – est devenue programme de développement personnel. On lui demande de renforcer le cœur, de sculpter les muscles, de perdre du poids, mais aussi d’évacuer le stress en exprimant une violence rentrée. Elle participe du culte généralisé rendu à la beauté des corps, à la pureté d’un esprit purgé des inquiétudes du quotidien. Le long de ces trois kilomètres de quai, mais aussi aux Tuileries, au parc des Buttes-Chaumont, au bois de Boulogne, au jardin de l’Observatoire, dans des dizaines d’espaces verts de la capitale, on honore la divinité « âme saine dans un corps parfait ». À l’exemple de Venice Beach, en Californie, ou des plages de Tel-Aviv, en Israël, on redevient grec, persuadé que la beauté du corps produit la perfection de l’âme. 

Le punch des amazones

Et les femmes sont au moins aussi nombreuses que les hommes à s’emparer de ce sport de combat pour affermir leur âme. Elles cognent peut-être même avec davantage de conviction. En ce domaine, nous avons dépassé les Grecs, qui gardaient leurs femmes à la maison et les contraignaient à se vêtir d’un voile lorsqu’elles se trouvaient dans l’espace social. 

On a longtemps pensé que les Grecs avaient inventé les Amazones, ces redoutables femmes guerrières, contrepoint de leurs épouses, dans le seul but de les faire périr sous le glaive des héros. Mais les découvertes archéologiques récentes ont révélé que les femmes scythes, qui ont certainement inspiré les récits mettant en scène les Amazones, montaient à cheval et faisaient la guerre comme les hommes. 

Platon le savait certainement, qui écrivait dans le VIIe livre des Lois que, dans sa République idéale, la loi prescrirait aux femmes les mêmes exercices qu’aux hommes et qu’elles s’y révéleraient, il en était certain, aussi performantes qu’eux tant à la course qu’en gymnastique. « Il y a, remarquait-il, aux environs du Pont un nombre prodigieux de femmes appelées Sauromates, qui, suivant les lois de leur pays, s’exercent ni plus ni moins que les hommes, non seulement à monter à cheval, mais à tirer à l’arc et à manier toute sorte d’armes. » Et il concluait en affirmant qu’un État qui n’impose pas les mêmes prescriptions aux femmes et aux hommes n’est qu’une moitié de lui-même. 

Nous aurons mis deux mille cinq cents ans à réaliser la prescription de Platon. 

Le punch des amazones

À lire / Les Amazones, d’Adrienne Mayor (La Découverte, 2017).


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