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Quand faire, c'est croire (1)

Publié le 12 septembre 2021 par Detoursdesmondes
Boli-brooklyn

Voilà un bon moment que je n'écris plus sur ce blog : la faute à de l'écriture au long cours occupant mon esprit qui vagabonde dans le Londres des années 1760 à 1820 et la Nouvelle-Hollande qui verra à la fin du 18e siècle, l'arrivée des premiers convicts...
Je reprends donc ici quelques posts issus d'une présentation faite en 2019 à Besanceuil à l'occasion du Bourgogne Tribal Show, et à la suite d'un séminaire suivi à l'époque auprès d'Agnès Kedzierska Mazon (Voir plan du cours et bibliographie) à l'EPHE.
À la manière du philosophe du langage J. L. Austin, qui le premier, avait parlé de “performatifs" pour désigner certains énoncés qui sont en eux-mêmes l’acte qu’ils désignent, notion rendue célèbre par ses conférences réalisées sous le chapeau “Quand dire c’est faire”, j’ai voulu retourner la proposition en m’arrêtant sur "ce que c’est" que ce faire.
Je vais ainsi choisir quelques exemples dans des cultures traditionnelles (mais on pourrait très bien se tourner vers des pratiques contemporaines) afin d'illustrer la fabrique d’objets qui étaient capables de “faire” eux-mêmes, des objets tellement puissants qu’on les a qualifiés de dieu objet (cf. Marc Augé). J'en ai déjà évoqué un certain nombre sur ce site, je vais simplement les regarder sous un autre angle.
On pourrait aussi se demander que signifie "croire", une bien difficile question... Croire à leur agentivité tant bien même nous avons du mal à les imaginer dotés d’une intentionnalité ?
Bamana-mask

Quelques éléments de vocabulaires sur le "fétiche" et le "faire"...
Fétiche vient du mot feitiço, un terme portugais qui désigne à l’origine quelque chose de “fabriqué”. Cela a induit rapidement l’idée de quelque chose d’artificiel, de “trafiqué” ou lié à des manigances magiques comme le sortilège. (cf. Du culte des dieux fétiches de Charles de Brosses, 1760). Rien n’est plus faux.
En Afrique, et plus précisément en pays mandingue, les sculptures sont appelées : jirimogonin, ce qui signifie “petites personnes en bois”. Ce terme englobe les statuettes mais aussi les marionnettes et quelques masques. Sculpter se dit désé ou jiridésé, c’est-à-dire tailler (le bois). Le bois, jiri, est considéré comme une substance ou matière vivante, forte, active par excellence… Ce sont souvent des hommes appartenant au groupe des forgerons (numuw) qui ont la charge de la production artistique (et, par le passé, celle des sociétés masculines).
En grec ancien, fabriquer, faire, c’est poeio.
Poiete désigne l’artisan, et poíê-ma, le résultat de son action. Pour les Grecs, les poètes sont les artisans de la parole, ils ont une technique, une connaissance et leur réalisation doit recevoir l’aval des dieux. Ce sont eux qui nous révèlent par les mythes les pratiques rituelles. Par exemple, l’autel d’Éryx décrit par Élien (Sur la nature des animaux X, 50), agit dans le processus de présentification de la déesse Aphrodite. Chaque jour, le feu brûle car on sacrifie un très grand nombre de victimes, et pourtant, chaque matin, il ne reste rien excepté de la rosée et de l’herbe fraîche qui repousse chaque nuit. L’autel opère à la manière d'un pivot et joue le rôle d’une antenne posée dans un territoire, permettant ainsi de communiquer. C’est aussi un organisme vivant qui absorbe les victimes et redonne “en échange” les signes d’Aphrodite : la rosée et l’herbe. (cf. Gabriella Pironti).
En quechua, l’artisan est camayoc et camac signifie force vitale : L’artisan est donc celui qui apporte de la vie à la matière.
Tohunga, en maori, est l’artisan, le spécialiste (Tufunga en samoan, Tahu’a en tahitien). Il est aussi prêtre. Il a un statut privilégié, héréditaire. Le geste technique devient geste rituel car le tohunga est investi de mana, cette énergie vitale (comme pour le camayoc) qui se propage dans son travail du bois, de la pierre, du sennit (fibre de coco).
à suivre...
Photo 1 : Boli Bamana © Brooklyn Museum n°75.77.
Photo 2 : Masque de la société du Komo, Bamana © Brooklyn Museum n°69.39.3.

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