Les vrais héros, de nos jours, ou depuis toujours, ne sont jamais facile à identifier. Pour moi, dans la vraie vie vraie, un héros, une héroïne, c'est quelqu'un d'honnête.
Ça parait facile, mais regardez autour de vous. Peu le sont vraiment. Mes héros, de ma planète terre, sont plus rares que ceux que je peux trouver en fiction. J'ai des héros réalisateurs. Des héros en musique. Des héros en littérature.
Et chez ces auteurs que j'admire grandement pour leur oeuvre, au coeur de leur corpus artistique se trouve des héros qui me sont aussi entrés dans la peau. Sans effort. Très naturellement. Je vous en offre 4. 3/4 mâles, 1/4 Femme. Ce qui me semble, justement, assez honnête de la construction de mon être.
Le Docteur Rieux d'Albert Camus, dans La Peste.
Le personnage de Camus, dans une oeuvre qu'il a déjà commencé à penser quelques 6 ans avant 1947, année de publication du roman, est un peu le reflet de l'auteur dans sa recherche afin de fonder un nouvel humanisme. Par pudeur, par choix, Camus refuse de le décrire physiquement, avec un certain souci de ne pas révéler son identité. En effet le roman est écrit à la troisième personne jusqu'à la fin, où seulement, là, on découvre que l'ensemble pouvait être narré par Rieux. Il y a refus, très séduisant, de toute complaisance narcissique. Rieux semble écrivain malgré lui. Même les gens qu'il rencontre sont décrits en quelques lignes courtes et précises. Comme si ce qui était important était ailleurs. Et c'est précisément le cas. La Peste (la Covid, le Nazisme) tue. Rieux veut se concentrer sur l'essentiel. Il est homme de devoir.
Il semble conjuguer assez durement la contradiction entre une sensibilité très vive, une soif de chaleur et de tendresse humaines, et les rigueurs de son métier. Il est ému de sa femme malade et de sa mère mais se refuse très rapidement à se laisser faiblir dans la sensiblerie. Il sait que la fatigue de cette situation extraordinaire qui force tout le monde à lutter contre des forces invisibles, trompe son jugement. Il est discipliné. Il ne se fie pas exclusivement à son propre jugement. Il en consulte plusieurs pour se faire une tête. Il n'est pas parfait. Il est humain. Je me reconnais partout là-dedans.
Holden Caulfield de J.D.Salinger dans The Catcher in the Rye.
Plusieurs ont tenté de s'approprier Holden Caulfield. Des déséquilibrés, entre autres. Mark David Chapman, assassin de John Lennon, avait une copie du livre de Salinger dans sa poche quand il a tu. le Beatle aux portes du Dakota, à New York, en 1980. On a aussi dit que Salinger avait trouvé le nom de son personnage rebelle en apercevant l'affiche du film Dear Ruth, mettant en vedette William Holden et Joan Caulfield. Mais le film est lancé en 1947, et le nom, pour la première fois chez Salinger, deux ans avant. Dans I'm Crazy publiée dans le magazine Collier's. Une nouvelle qui sera adaptée aux premiers chapitre du Catcher in The Rye. Holden est en colère, frustré, abimé de l'âme, il a 16 ans, il se cherche. Ne prend pas toujours les bonnes décisions. Je l'ai lu et découvert à cet exact âge. Je me suis vu. J'ai fait bifurqué mes attitudes vers mieux. J'ose croire. Mais on ne peut pas toujours aller contre nature. Il existe en moi encore un adolescent en colère (même si j'ai eu la plus belle des adolescences possible) et surtout, un rebelle. Un facilement froissable. Un imparfait. En 2012, on offrait le livre d'interprétation de l'oeuvre aux États-Unis, dans les cours de philosophie, avec le sous-titre, "a book for bastards, morons, and madmen". Oui. Parfois.
Il existe une incohérence dans le personnage qui apparait "disparu à la guerre, en 1941" dans la nouvelle Last Day of the Last Furlough, mais Catcher in the Rye le place à 16 ans, en 1948-49, bien vivant. Je suis aussi parfois, incohérent. Nous le sommes tous.
Morel dans Les Racines du Ciel de Romain Gary.
J'ai tout lu Gary. Enfin, je crois. J'aime beaucoup oublier que je l'aurais tout lu et je le relis alors. En sortant toujours plus épanoui par la suite. Voyez, je m'apprête à relire Les Racines du Ciel simplement parce que je vous en parle aujourd'hui. Ce roman sur la défense de l'environnement et la protection de la nature, se servant des éléphants pour le faire comme dans "l'éléphant dans la pièce" et situant l'action dans une Afrique appelant à la souveraineté ne pouvait que me toucher de partout. Morel est anti conformiste. Batailleur. Morel dénonce les cruauté humaines. Ce que je m'applique moi-même à faire ici assez souvent. Il est décolonisateur. Problème toujours pertinent de nos jours (Je pense à toi, Israël). À la fois homme risible et légende magnifique, je crois humblement me trouver aussi, entre les deux. Parfois atteignant l'un, parfois touchant l'autre. Mais toujours en mouvement. Le Tchad de Morel, c'est un peu le Québec de Jones. Je charge aussi contre les "géants encombrants". Qui ne seraient jamais les éléphants, mais plutôt la corruption politique, la malhonnêteté, la bêtise humaine. Rien ne pouvait lui arriver. Rien ne peut non plus, m'arriver. C'est le propre de mon état d'extra-terrestre. Ce qui me rend aussi anachronique. Comme Caulfield chez Salinger. Il est aussi idéaliste. La couleur de 40% de mon coeur. Une qualité comme un défaut.
Bérénice Einberg dans L'Avalée des Avalées de Réjean Ducharme.
Le discours de Bérénice, Femme-Enfant de 9 ans, est sauvage et imprégné de sa subjectivité, de son imaginaire, de ses rêves, et parle des conceptions qu'elle se fait du monde comme je parle des compréhension que je fais de l'étude de votre planète. On passe sans cesse d'un monde réel à un monde imaginé dans une langue réinventée. Bérénice est en guerre et conteste le passage du temps. Elle freine l'adulte en elle. Ne voulant pas être avalée, altérée, digérée, intégrée. Elle veut, et habite, l'île. Mentale et physique. Elle anéantit toutes frontières sur lesquelles se fondent les groupes sociaux. Elle a sa propre interprétation de ce que sont les communautés, les vivants, les morts, les idoles et leurs contraires, le masculin, le féminin, le civil et le sauvage. Elle est héroïne souveraine des seuils des marges, nouvel ordre qui, forcément, l'isole un peu. En faisant du même coup, un anti-héros.
Elle se métamorphose. Ce que le temps ne peut nier faire sur moi, sur nous, aussi. Son père est Juif, sa mère est Catholique. Le père qu'on m'a attribué est irlandais, la mère qu'on m'a offert est Autochtone. Bérénice est parfois émotive. Chaud, chaud est mon sang, forcément, forcément. Elle flotte entre lieu et non-lieu, jamais clarifié. Comme ma vague planète jamais précisée. Elle s'ouvre continuellement sur un monde de possibilités. Elle résiste sévèrement aux attentats contre sa solitude commis contre elle. Elle se recréé, se fait renaître. Ceux qui ne me voient pas là-dedans, ne me connaissent pas bien, encore.
50% l'Europe, 50% l'Amérique.1947, 1951, 1956, 1966. Mes héros ne sont pas tellement modernes me direz-vous.
Pour aller de l'avant, il faut prendre du recul. Et prendre du recul, c'est prendre de l'élan.
Je viens de vous révélez beaucoup de l'intime, moi.
Je me sens nu.