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(Note de lecture), Mathieu Provansal, L'Officier du vallon, par Frédéric Valabrègue

Par Florence Trocmé


Mathieu Provensal  l'officier du vallonÀ l’origine, L’officier du vallon est un bulletin mensuel A4 plié en deux contenant des articles, notes, remarques, critiques à propos de la vie d’une commune rurale, Marcillac-Vallon dans l’Aveyron, un 4 pages écrit par un unique rédacteur, Mathieu Provansal, écrivain, artiste et éditeur des éditions Pavillon Journaud. Le bulletin est vendu sur les marchés 80 centimes, mis en dépôt chez les commerçants et compte une soixantaine de lecteurs dont les abonnés. Sa présentation est aussi simple qu’un bulletin paroissial. Il tient de la rubrique des villages où l’on fait état des épousailles, de la prise des pêcheurs, de la date des vendanges et du risque des gelées. Vu son faible prix, on pourrait traiter cette publication comme un gratuit jetable. Parfois une signature au bas d’une croûte semble la protéger. Là, ce sont sans doute la tonalité du titre de la publication, le ton des articles, puis le son de la phrase qui empêcheront passants ou curieux de la froisser. On a l’envie irrésistible de collectionner cette publication de rien du tout si singulière, pas seulement par goût des objets insolites, mais parce que ses investigations géographiques, climatiques, botaniques, urbanistiques, municipales, politiques, gastronomiques, ses compte rendus de la vie culturelle du village, ses critiques artistiques, musicales, cinématographiques, théâtrales y sont menées avec une justesse et une précision remplies d’allégresse, de malice, de drôlerie, et d’énormités polémiques, ce à raison de quatre à sept articles par bulletin écrits par un seul homme-orchestre capable de plus de trois octaves.
Rien que le titre de la feuille L’officier du vallon, devrait mettre la puce à l’oreille, à condition que l’habitué du marché de Marcillac ou le client de la boucherie ait justement un peu d’oreille, ou de la feuille (pas celle du boucher). Il semble qu’il y ait dans ce titre quelque chose qui a fourché, quelque chose se dédoublant comme un cheveu fourchu montrant que les occurrences de langage rencontrées dans ces chroniques les font jouer, discrètement, entre deux airs. Qui est donc cet "officier" si peu officiel ? Serait-il l’auteur en garde-champêtre battant tambour, avec des prises à partie très peu adjudantesques, des indignations très peu comiques troupières, des observations tatillonnes de maniaque du contentieux, et taquinant de loin tous ces registres avec la pointe de l’ironie...? (Feindrait-il le faux plouc, comme dans une chanson de Boby Lapointe, l’émoticône dans la tête d’œuf de l’officier ...?)
Quand Provansal et sa famille ont débarqué il y a plus de quinze ans dans l’Aveyron sans connaître personne, ils ont éprouvé une faim de contact, de relations, eux, les anciens citadins faisant leur aller simple à la terre. Créant le bulletin en même temps qu’il entretenait une vigne, un potager et qu’il faisait son métier de cantonnier curant les caniveaux et les fossés ("Heu-reux !"), Mathieu a ambitionné d’amorcer un potlatch et une conversation. Peut-être a-t-il cru en cette vieille lune qu’est le local, qu’à échelle démographique réduite, on pouvait envisager une sociabilité et même, espérance hyperbolique, entrer dans la vie de la commune...?, la Commune, tout le monde se souvient encore de cette utopie... Peut-être a-t-il pensé qu’il y avait moyen de rejoindre une réflexion collective dans le cadre réduit de la politique municipale et participer à l’expression d’une citoyenneté alerte et détendue où, grâce à l’observation, beaucoup pourrait être réfléchi, analysé...? Comment serait pris sa monnaie d’échange ou son passeport pour la vie communale ? Eh bien, comme on s’y attendrait dans notre chère patrie, ses interrogations critiques souvent douteuses et rêveuses, si attachées à des détails idiosyncratiques, n’ont pas reçu, à quelques rares exceptions, les complicités amicales qu’elles méritaient... Il s’agissait d’une invite : allons regarder notre lieu de vie de plus près, jusqu’à la poésie et à l’absurde. Il a été pris pour un opposant. Il a piqué les notables locaux avec une minuscule épingle à nourrice, une piqûre de moustique, et ils lui ont répondu avec un lance-flamme, ne lui faisant même pas crédit d’être un simple "original", un hurluberlu, alors que rien, dans son bulletin, à part les odeurs de foin coupé, n’aurait pu montrer qu’il pourrait faire campagne.
En plus des quelques personnes dans le village friandes de littérature, il y a les abonnés nationaux et internationaux à L’officier du vallon exterritorialisant le bulletin sans le décrotter de son terroir. Peut-être que la lecture de ces derniers vagabonde un peu plus loin que les limites d’une commune qu’ils n’habitent pas, jusqu’à ces terres que sont la langue et l’écriture... ?
Aujourd’hui, ce bulletin de plus de huit printemps continuant à être publié et distribué dans sa forme originale, est devenu un volume grâce aux éditions Héros-Limite et, avec cette prise en charge d’un éditeur, change de dimension, ou plutôt, entre dans une dimension complémentaire à la première. Livre, L’officier du vallon est un choix de rubriques prises dans la continuité chronologique du bulletin original. Ce n’est pas tout à fait une anthologie. Cette transformation d’un objet éditorial en un autre met en valeur une autre composition et un autre type de respiration. Les environs et l’environnement de Marcillac-Vallon, c’est-à-dire les saisons et la météorologie font entrer le paysage dans le village. Ce ne sont plus seulement les conditions de vie des Marcillacois et Marcillacoises qui sont parcourues et interrogées mais le journal de bord et de vie d’un regardeur. Des lignes traversantes proposent des rebondissements de feuilletons, comme ce qu’il advint du "gingko de l’ouest" qui, col tempo, ne s’avèrera plus être un gingko, comme ce qu’il advint du dallage de ce cours d’eau qu’est le Cruou, de ce lieu polyvalent de rencontres qu’est Le Guingois, etc. Grâce au livre, nous prenons davantage conscience des épisodes, des leitmotivs, ceux de la déclinaison pluviale, du drainage des eaux et du sens de la circulation dans une si petite horloge. Nous assistons à une transsubstantiation de la publication, comme en une opération philosophale. Le bulletin était fait pour entrer dans un monde et le livre est fait pour en sortir. Sa composition suppose l’effort de pousser sur les murs. Il est fait pour casser ce que les murs du village ont d’encerclant. En réalité, ces chroniques ne cessent pas d’ouvrir des brèches dans le local et le circonstanciel jusqu’à en faire des échappées. L’état des lieux est compliqué par le démon des constructions fragiles. La posture du contempteur est consciente de l’aspect lilliputien de ses revendications. Le sous-préfet aux champs se perd dans les graminées. Cela devient réjouissant comme un monde qui a perdu son objet. Ainsi, l’éternel reportage va chercher sa sortie dans la parabole et l’allégorie, la chronique dans le poème en prose. Même la petite histoire des chicanes municipales, l’âpreté des positions politiques, est relayée ou étayée par ces Pages de Plogoff, recension d’une lutte bretonne exemplaire contre l’implantation d’une centrale nucléaire à la fin des années soixante-dix, pages héroïques de la détermination citoyenne, ne servant pas à L’officier du vallon de modèle ni de contrepoint, quoique, mais d’horizon et de changement d’échelle. Car là est l’enjeu : donner du jeu, c’est-à-dire du jour et de l’horizon aux luttes picrocholines, bien au-delà des collines, et cela, seule la poésie le peut. Signalons que celle des titres des rubriques, leur rythme et leur scansion, tels les cailloux du Petit Poucet, participe beaucoup à l’humour et à l’enchantement.
Frédéric Valabrègue

Mathieu Provansal, L’officier du vallon, Héros-limite. Coll Géographies(s). 2021, 256 p., 20€.
Extrait : P96.
du 29 septembre 2015.
LE GINGKO DE L’OUEST
Le gingko de l’ouest, ou peut-être faudrait-il dire du nord-ouest, puisque l’eau coule vers le nord-ouest, c’est-à-dire le gingko à gauche du monument, nous a tout d’abord semblé précéder l’automne, puis on s’est demandé s’il ne faisait pas une jaunisse... On s’est bientôt rendu compte que ses feuilles n’étaient pas seulement pâlichonnes : certaines brunissent au bord, ourlées de mort, et puis leur développement n’est pas aussi splendide que le veut un arbre d’une telle essence, rare, ou exotique... Ces feuilles, ostensiblement malades, tendent qui plus est à s’enrouler un peu. Et ce feuillage est moins fourni. La physionomie de l’arbre, en fait, ne dit rien de bon. Sa cime est faible. Son port n’a pas le tonus requis par les années qui s’annoncent nombreuses, au vu de la tâche qui lui incombe de célébrer le souvenir des siècles. Du coup, on se demande si l’une de ses racines ne rencontre pas quelque obstacle, sous l’asphalte aveugle que l’on sait parcouru de fluides, de câbles et tuyaux divers : est-ce qu’il reçoit la télévision ? Ou peut-être que son trou, le trou du nord-ouest, avait été rempli d’une terre moins bonne que celui de l’est ; ou bien, est-ce que ses seules positions cardinales n’ont pas défavorisé le gingko de l’ouest, exposé au vent dominant, tandis que son voisin trouve l’abri des murs plus proches, et l’abri du monument lui-même ? La sécheresse lui aura certainement porté tort, mais son voisin, lui, a subi la même sécheresse et se porte à merveille. Alors ? La vie et son lot d’injustices... Il aurait fallu n’en planter qu’un, qui sait ?


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