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(Note de lecture), Agota Kristof, L'Analphabète, par Philippe Fumery

Par Florence Trocmé


Agota Kristof, la poésie née du désert.

Agota Kristof  l'analphabète
Les éditions Zoé ont fait paraître en mai 2021 « L’Analphabète » d’Agota Kristof. C’est un court « récit autobiographique » dans lequel l’auteure jette, à traits rapides et en onze chapitres, quelques étapes de ses débuts dans la vie. La continuité de cette existence sera trouvée dans la lecture et l’écriture, deux fils conducteurs tressés qui seront cependant mis à mal par le passage de la langue initiale vers le français, langue d’accueil.
Le troisième chapitre s’intitule « Poèmes ». Ce sont les années d’internat, une vie de contraintes et de privations. Mais dans ce vide, la poésie entre doucement.
À l’internat, c’est l’extinction des feux à dix heures du soir. Une surveillante contrôle les chambres.
Je lis encore, si j’ai de quoi lire, à la lumière du réverbère, puis, pendant que je m’endors en larmes, des phrases naissent dans la nuit. Elles tournent autour de moi, chuchotent, prennent un rythme, des rimes, elles chantent, elles deviennent poèmes :
« Hier, tout était plus beau,
La musique dans les arbres
Le vent dans mes cheveux
Et dans tes mains tendues
Le soleil. » 18-19

Dans le chapitre intitulé « Désert », Agota Kristof découvre l’écriture poétique, de manière inattendue et comme paradoxale. Elle est arrivée en Suisse et n’a comme solution que de travailler dans une fabrique d’horlogerie. Pour la jeune hongroise :« C’est ici que commence le désert. Désert social, désert culturel. » 50
Agota Kristof souffre du peu de mots en français qu’elle est capable d’utiliser, d’où le titre si curieux en tête d’un récit. Mais dans ce contexte, en partant de rien, ou si peu, rien n’empêche l’écriture poétique de s’essayer :

Pour écrire des poèmes, l’usine est très bien. Le travail est monotone, on peut penser à autre choses, et les machines ont un rythme régulier qui scande les vers. Dans mon tiroir, j’ai une feuille de papier et un crayon. Quand le poème prend forme, je note. Le soir, je mets tout cela au propre dans un cahier. 50

Le chapitre suivant s’intitule « Comment devient-on écrivain ? ». Les premières lignes, page 53, donnent la réponse de cette femme après sa traversée du désert, et sans fioriture.
Philippe Fumery

Agota Kristof, L’Analphabète. Éditions Zoé, mai 2021 (première parution du livre en 2004). 80 pages, 12€

Agota Kristof fuit la Hongrie en 1956, par la forêt, à pied, son bébé dort dans les bras de son père, elle porte deux sacs, des langes dans l’un, des dictionnaires dans l’autre. Elle a 21 ans. Le hasard veut qu’elle s’installe en suisse, à Neuchâtel, où elle travaille d’abord dans une fabrique de montres. Elle y apprend le français et se met à écrire dans cette langue. En 1986, elle devient célèbre avec son premier roman, Le Grand Cahier. Deux livres suivent, La Preuve et Le Troisième Mensonge, formant une trilogie au succès international. Elle publie aussi Hier et C’est égal, et de nombreux textes pour le théâtre. Agota Kristof est décédée en juillet 2011.
sur le site des éditions Zoé


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