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(Anthologie permanente) Françoise Ascal, Brumes

Par Florence Trocmé


Françoise Ascal publie Brumes, avec des peintures de Caroline François-Rubino dans la collection Ecri(peind)re de l’éditeur Aencrages & Co.
On peut rappeler aussi la parution, en 2020, de L’Obstination du perce-neige dont un bref extrait sera donné ici.
qui suis-je que sais-je
demandent les philosophes antiques
ils nous rappellent à notre sort
évoquent les voiles d’illusion
dont nous sommes enveloppés
la matière même de nos corps
ne serait qu’une étoffe tissée de songes
prête à se dissoudre
au carrefour des brumes
il y a vingt-sept siècles
le jeune Héraclite
penché sur les eaux du fleuve
déclarait :
« tout ce qui naît tend à disparaître »
en savons-nous davantage ?
*
pluie bruine neige grêle brouillard...
on les appelle
eaux météoriques
hydrométéores
ou météores aqueux
en un rien de temps
elles passent d’un état à l’autre
se déposent dans l’atmosphère
givre verglas flaque
quelquefois avec délicatesse
elles s’emparent d’un brin d’herbe
d’une corolle de volubilis
d’un fin réseau de fils tendus
entre deux tiges :
merveille nommée rosée
*
« adore l’apparence »
telle est l’injonction de Nietzsche
au soir de sa vie
l’art nous a été donné
pour ne pas mourir de la vérité
écrit-il
les vérités enfouies
sont inutiles
toxiques pour les humains
ne soulève pas le voile !
adore la surface mouvante des choses
adore les formes les sons les mots
le ruissellement sans fin
tout ce qui court
sur la peau fine du monde
lieu de la plus grande profondeur
Françoise Ascal, Brumes, peintures de Caroline François-Rubino, Anecrages & co, 44 p. 21€
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28 mai
maison grande ouverte sur la chaleur de l’après-midi. Exactement ce que j’attendais, espérais. La petite table violette dans la prairie. Je lis Brouillons de l’américaine Rachel Blau du Plessis. Excitant.
Une écriture « dans l’alarme », écrit Auxeméry. Elle use d’un néologisme : « l’angage », un composé de langage frappé du sceau de l’angoisse.
Je penche de plus en plus souvent du côté de la contemplation. Regarder la beauté encore possible du monde, l’énigme du phénomène vie. Je suis en vie. La vie coule dans mon corps et je la loue, je l’accepte avec son lot de douleurs. J’entends la rivière. Les oiseaux. Les insectes. L’herbe est haute. La lumière joue différemment qu’en été après les foins. Écouter / voir du fond de « l’âme ». J’ose ce mot malgré ce qu’il traîne. Je ne trouve aucun équivalent. Ces journées me lavent. Je ne cherche pas l’enfant que je fus ici. Je cherche le suspend. L’abandon de moi-même. Une forme de dissolution ?
Je rejoins une place à ma mesure, une place qu’on reconnaît, dans l’empreinte de laquelle on peut se glisser, se laisser désarmer. Ici cesse le combat. Et les ombres s’allongent vers la terre qui les boit. Les ombres elles-mêmes se reposent dans le bercement du soir, couleur lilas.
Inutile de chercher les raisons qui produisent cet état. Vivre, aimer, suffisent.
Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige, encres de Jérôme Vinçon, coll. Approches & Rencontres, Al Manar, 2020, 140 p., 17€


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