Magazine Culture

Des îles - Lesbos 2020, Canaries 2021, de Marie Cosnay (éd. de l'Ogre)

Publié le 25 octobre 2021 par Onarretetout

Des-iles

Quelqu’un me vantait récemment le roman qu’un auteur avait situé dans la « jungle de Calais ». Un auteur à qui l’on ne demandait rien déclarait ailleurs qu’il voulait écrire sur la situation au Liban qu’il connaissait mal, avouait-il. La littérature se saisit toujours du réel mais le recrée, différent, après se l’être approprié. Marie Cosnay écrit dans ce réel, dans ce mouvement, dans ce chaos. Elle n’en sort pas par l’écriture. L’écriture accompagne son action.

Des prénoms, des pays, des récits, des passages, des « brûlures », et, d'emblée, c'est le monde. Marie Cosnay s’est engagée dans l’accueil très concrètement et avec l’écriture. 

Elle nous invite à regarder, écouter les gens qu’elle rencontre, qu’elle écoute, qu’elle accompagne, et nous fait comprendre ce qui se passe en Méditerranée, entre les pays, dans cette Europe qui fait des îles (Lampedusa, les îles grecques, les Canaries) des prisons. Quelques cartes donnent une idée assez précise de leurs localisations. 

On ne peut empêcher de partir quelqu’un qui a décidé de partir. Celles et ceux qui quittent leur pays savent, pour la plupart, les dangers qu’ils vont affronter. Les motifs de départ sont nombreux. Et l’Europe - ses institutions, ses règlements - croit sans doute se protéger en retenant dans des centres fermés, sur des îles, les femmes, les hommes, les enfants qui tentent la traversée. 

Quand des centaines de personnes disparaissent, quand des centaines de personnes meurent pendant le trajet, quand les bateaux n’arrivent pas, disparaissent, il y a des familles dans l’attente, dans l’angoisse, et des personnes, des associations qui se sont engagées pour retrouver les disparu.e.s. 

Dans l’enquête, Marie Cosnay cherche à comprendre, porte les paroles des gens qu’elle rencontre : pourquoi voudrait-on disparaître ? veut-on rompre avec le passé ? est-ce pareil pour une femme et pour un homme ? Ce n’est pas une personne seule qui cherche, c’est un ensemble de relations qui s’instaure. On a vu Makoko ici, elle n’est pas arrivée là, elle se cache, elle est morte, ce n’est pas Makoko, elle a peut-être changé de nom… On reçoit des témoignages, on imagine des prisons secrètes, mais toujours on cherche. Les portables ont une grande importance (les passeurs les confisquent). Un disparu peut réapparaître un jour. Et tant qu’on n’a pas trouvé de corps, identifié les corps, on espère et c’est insupportable.

« Les paroles remplacent les corps, les paroles sont de petits corps à la place des corps qui manquent, elles sont l’objet défini, définitif, d’une foi sans fin ». 

Marie Cosnay ne peut faire de la fiction avec ces histoires, avec ces centaines de personnes, exilées, mais aussi acteurs associatifs, et même policiers, gardiens. Comme celui qui, en Espagne, ne comprend pas qu’on lui interdise de venir en France (à cause des mesures anti-Covid) tandis que des Français peuvent venir en Espagne faire du tourisme…

Toutes les paroles, Marie Cosnay en témoigne et ce livre qui n’esquive rien sera sans doute suivi d’autres textes où l’autrice, inscrite elle-même dans l’action, donne à entendre ces voix que l’Europe voudrait rendre inaudibles. Et où elle s’affirme solidaire des humains, de part et d’autre des frontières, et qui les traversent.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Onarretetout 3973 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine