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(Anthologie permanente) Philippe Di Meo, Hypnagogiques

Par Florence Trocmé



Di meoLes accents du regret

Autrefois
(sous quels ciels ? sous quelles lois ?)
les accents du regret – leurs accidents
comblaient leurs parleurs.
Désormais, non. Désormais plus. Désormais suivre,
désormais vivre le vif grésillant tracé
assoiffé d’espace.
Enivré. Traits intraitables (plus durs ou plus vagabonds),
Tortueux, malaimants, séditieux (pinceaux de dureté),
à l’extrême d’eux-mêmes ;
oui, suivre, épouser, saisir (au vol, au bond), chevaucher –
désormais –, piétiner leurs si nombreuses indomptables élégances,
en fièvre, à la diable, suivre – désormais – leurs
extatiques haletantes cadences (« les voyageuses, les aventureuses »,
leur fourmillement d’obscurs perfides segments,
traits (flèches ou hameçons) qui aiguisent et
narguent toute droite direction.
Qui bifurquent. Flèchent
toute introuvable friche.
   Traits (grâces ou poinçons) ne transperçant qu’eux-mêmes
Eux-mêmes et leurs vertigineux litiges.
   Eux, virgules, guillemets, parenthèses,
Tirets (météorologies) comme déconcertants buissons d’accents.
Pirouetter dans cette indigence ?
S’engourdir ?
Accepter la fondrière ? La danse ?
Ahaner en d’autres lieux (plus ou moins jeunes ?
Plus ou moins vieux ?) Lesquels ?
Rebondir ? Arpenter, seconder toute criarde grinçante kyrielle ?
Lente, ô trop lente, poursuite (ardu défi)
   que – espoir – nous osons
poursuivre, renvoyer, entreprendre.
   Mouvance de l’aise et du malaise
qui tantôt s’exalte dans l’euphorie
tantôt gémit sur la perte.
   De toute façon, hordes de sylvestres segments,
froides incandescences
sont autant de cuisantes cruelles carences
(chaos ou hasardeux lassos) qui
– insécables aspérités –, en pluies
"d’or ou de feu", épellent la plaie la pire :
Un partout y pullule de lignes grimacées menaçantes.
Plénitudes, altitudes (paisibles plaines) – ô vous toutes –
où sont vos typo-topographies ?
   La
   Juste équivalence, l’espace ouvert ou clos
Vannent d’indicibles douleurs.
Dans le pâle, le clairsemé
Çà et là parfois couleur s’empourpre.
Ça et là, quelques miroitements lilas,
quelques clignotantes luminescences
(ô broderie de broderies de violences)
(oh, plier la sinuosité rampante
Vers une fin d’harmonie : que
   je
   le
   voudrais
   ce
     matin).
  
   Infime barbelure
(ou bien plus horrible, ou bien moins), sur ces porosités je rampe,
sur ces couleurs, je me traîne.
Au bord de leur évanouissement je me
Et copeau de jactance, ponctuation en route – de toute scorie
de tout rebut,
   je fais mon nid,
   nid d’évidences
   et d’harmonies
***
Sur la ligne Gustav. Bien des années après

Où les champs démaillés
effrangent leurs sillons pentus,
où la laine des ronces atteste des brebis venues,
dans l’austère des collines,
   vers les monts dressés par la sauvage lumière
   – sans pitié – cruel  – non voulu du touffu  –
   le soleil écarquille ses formes
pour  –  sans pitié  –  cruellement  –  instituer l’acéré  –
tailler d’innombrables aspérités  – (diamant)   (arêtes nettes)
lorsque l’ombre est pourchassée,
quand nul oiseau ne chante,
   au-dessus des bois, des buissons (déjà perçus),
   cédant peu à peu au scintillement d’un
   vocabulaire de calcaire   (tendrement éclatant,
   doucereusement muet),
dans l’éblouissement d’un jour,
me meurtrit le métallique éclat des pierres
Ici les blessures
Ici les cassures
Des chênes l’orgueil jeté bas
partout s’approprie :
dans l’hypnotique  saveur des cailloux,
absenté par l’œil
enclos dans son pépiement,
un moineau couve d’ovales bigarrures
Philippe Di Meo, Hypnagogiques, éditions Rencontres, 1998.
Note : « Ligne Gustav » : ligne de défense allemande fortifiée longue de 150 km, en Italie centrale, lors de la seconde guerre mondiale (1943-1944), dont le centre était l’Abbaye de Mont-Cassin. Aujourd’hui encore la région est semée d’éclats d’obus.
 


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