Les éditions ARTGO & cie, / Au coin de la rue de l’enfer publient Lais, l’encre de la voix, de Lello Voce dans une traduction de Lella Le Pillouër.
Dans les neiges ce dimanche il s'achemine
Le Deutschland rejetant loin derrière le port
Et déjà le ciel se vermine
Car l'air est infini et sans confort
Et la mer écumeécaille de-silex, noir-bossue au souffle régulier
Stable d'EstNordEst, le vent, dans le maudit quartier ;
La neige hérissée et blanche-étincelante au vent vire-bouillonne,
Et vers les abîmes faiseurs de veuves, sans pères et sans fils
tourbillonne
deux guerres deux guerres mondiales je m'entends et une mondialisation bien pire encore je parle pour ceux de la cale et pour les premiers balayés du pont à coups de vague financière après vague financière sur une mer de devises de force sept-huit et d'étranges silhouettes italo-américaines qui rôdent dans les couloirs et dans la grande salle et en salle des machines et jusqu'au gouvernail au radar avec des bouteilles et des bouteilles de whisky de contrebande serrées sous leurs paletots poursuivies à coups de sirènes hurlantes par des alcooliques en uniforme qui dérapent-apent sur le gaillard d'arrière et dégomment à l'avant mais ensuite ils furent des millions tapis derrière tranchées et barricades de Paris à Stalingrad des étudiants et des philosophes et des soldats et des intellectuels embusqués contre le Reich et la société sale et bourgeoise dans la toundra enneigée et au soleil des boulevards et à Berlin puis par petits groupes armés ceux-là et à Rome sur les toits les tireurs d'élite tous tendus visant rafale après rafale le cadavre affaissé dans le porte-bagages rouge qui palpite à chaque balle comme d'une vie nouvelle puis la vis impitoyable qui tourne et restreint chacun de nos souffles dans la fumée noire
[de la cale
***
Quant à la consolation du cœur,
Le gris bas-mamelonné terre-entaché
S'éloigne, les cieux bleu-geai de l'ardeur
D'un mai émaillé et écorché !
Bleue palpitante et blanche-iridescente altitude ; ou nuit plus
haute encore
Au feu tintant et Voie Lactée phalène au duvet-douceur,
Quel est le ciel du désir selon toi, le trésor
Qui jamais ne fut vu dont personne - même par ouï-dire -
n'imagine la splendeur ?
et juste pour commencer un tir un simple tir à Sarajevo puis des explosions en série des rafales et de sourds grondements à la poupe et à Milan, à Brescia, à Bologne et sur les trains déchiquetés au fond dans la cale et il y a qui jure d'avoir vu un cheminot voler par les fenêtres de la grande salle poussé à l'eau par un flic au nom méridional et qui jure d'avoir vu ce même flic tué d'un coup de feu ami feu de barrage d'ensablement et de tranchées sur le Grappa jusque sur la cime enneigée du grand mât et à Anzio et à Ostie à Naples et juste pour poursuivre avec des chevaux lancés à l'assaut sur le pont des troisième classe la trompette de Bava Beccaris qui sonne la répression et Tambroni de la salle-radio dirige les vagues de policiers qui nettoyent le carré jusque sous la Valle Giulia piétinant Alice ses miroirs et le walkman et des oustachis tchetniks qui courent dans les couloirs à la poursuite de scalps indiens de scalps métropolitains à offrir ensuite en sacrifice à ce siècle si bref qu'il tient tout entier dans un poème si bref qu'il tronque là le millénaire si bref qu'il tient tout entier dans un seul
[ goulag
Lello Voce, Lais, l’encre de la voix, Artgo & Cie, Au Coin de la rue de l’Enfer, 2021, 61 p., 13€
Lello Voce est né en 1957 à Naples ; vit et travaille à Trevise.
Poète, écrivain et performer, il a fait partie des fondateurs du « Gruppo 93 » et du semestriel « Baldus ». Ses poésies et nouvelles ont été publiées dans des quotidiens, revues et recueils anthologiques en Italie et à l’étranger.
Son premier roman fut Eroina (Transeuropa ed. 2001) et Farfalle da combattimento (avec CD audio, dans la collection dirigée par Aldo Nove chez Bompiani) date de 1999.
Plus récemment on retiendra Cucarachas roman, (éd. Derive Approdi2002) et Fast blood (poésie sur CD avec des musiques de Frank Nemola, MRF5 ed. 2004).
Lais, l’encre de la voix est son premier recueil traduit et publié en France.
On peut écouter le texte (en italien) de ce « Rap de fin de siècle et de millénaire (ou de G.M Hopkins) » en suivant ce chemin.