Quatrième de couverture :
Kambili a quinze ans. Son monde est limité aux murs de la résidence luxueuse d’Enugu, au Nigeria, où elle vit avec ses parents et son frère Jaja. Son père, Eugène, est un riche notable qui régit son foyer selon des principes d’une rigueur implacable. Sa générosité et son courage politique en font un véritable héros de sa communauté. Mais Eugène est aussi un fondamentaliste catholique, qui conçoit l’éducation de ses enfants comme une chasse au péché.
Quand un coup d’Etat vient secouer le Nigeria, Eugène, très impliqué dans la crise politique, est obligé d’envoyer Kambili et Jaja chez leur tante. Les deux adolescents y découvrent un foyer bruyant, plein de rires et de musique. Ils prennent goût à une vie simple et ouvrent les yeux sur la nature tyrannique de leur père. Lorsque Kambili et son frère reviennent sous le toit paternel, le conflit est inévitable…
L’hibiscus pourpre, c’est une plante ramenée de chez leur tante par Jaja et Kambili, c’est un symbole de liberté.
L’Hibiscus pourpre, c’est un regard sur le Nigeria dans les années 80, son instabilité politique, la corruption, la pénurie, les multiples ethnies et dialectes, les religions dominantes (le catholicisme apporté par les colons, l’islam et l’animisme). Le lecteur découvre tout cela à travers le récit de Kambili, une adolescente de quinze ans, qui fait partie de la classe aisée. Mais la jeune adolescente ne connaît le monde qu’à travers les lunettes de l’éducation plus que stricte régie par son père Eugène : certes, il a du courage politique (il possède le seul journal indépendant du pays), il fait preuve d’une générosité sans bornes à l’extérieur de sa maison mais au foyer, c’est un tyran violent qui surveille tout et tout le monde au nom de la foi qu’il a reçue des pères missionnaires et avalée dans sa radicalité la plus poussée. Il va jusqu’à refuser à son père, un vieil homme resté animiste (avec toute sa sagesse), de voir ses petits-enfants, parce qu’il le considère comme « un païen ». Quand Eugène est obligé d’accepter d’envoyer ses enfants à Nsukka, chez sa soeur Ifeoma pour quelques semaines, la vie change complètement pour Kambili et Jaja. Ils découvrent une vie plus légère, plus ouverte aux autres, une tante qui n’a pas la langue en poche, des cousins qui partagent le rire comme la nourriture, pourtant moins abondante qu’à Enugu.
Ce que j’ai beaucoup aimé dans ce premier roman de Chimamanda Ngozi Adichie (devenue depuis très célèbre grâce à Americanah), c’est sa construction, la richesse des informations sur le Nigeria et surtout son sens de la nuance, voire de l’ambivalence, non seulement à travers le personnage d’Eugène (un personnage qui nous fait nous recroqueviller sur nous-mêmes dès qu’il apparaît) mais aussi de Kambili : si elle apprend peu à peu à libérer sa voix, son sourire, ses émotions, elle continue à aimer son père, elle ne le renie pas, et pourtant il y avait de quoi. L’auteure a sans doute puisé dans sa propre histoire pour évoquer aussi l’exil, seule voie possible parfois pour certains pour échapper à la corruption et aux restrictions de plus en plus fortes. Là aussi, ce n’est pas une décision facile à prendre ni à vivre.
L’Hibiscus pourpre, c’est un très beau premier roman, plein d’émotions et de réflexion.
« A la maison la débâcle a commencé lorsque Jaja, mon frère, n’est pas allé communier et que Papa a lancé son gros missel en travers de la pièce et cassé les figurines des étagères en verre. Nous venions de rentrer de l’église. Mama plaça les palmes fraîches, mouillées d’eau bénite, sur la table à manger. Plus tard, elle les tresserait pour en faire des croix, un peu avachies, qu’elle accrocgerait au mur, à côté de notre photo de famille dans son cadre doré. Elles y resteraient jusqu’au mercredi des Cendres, où nous les emporterions à l’église pour les donner à brûler et réduire en cendres. Papa, vêtu d’une longue robe grise comme les autres oblats, aidait tous les ans à distribuer les cendres. Sa file était la plus lente car il appuyait son pouce couvert de cendres bien fort sur chaque front pour tracer une croix parfaite et prononçait posément et avec conviction, en articulant chaque mot, le « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière ». »
« Le défi de Jaja me semblait à présent similaire aux hibiscus pourpres expérimentaux de tante Ifeoma: rare, chargé des parfums de la liberté, une liberté différente de celle que les foules agitant des feuilles vertes scandaient à Government Square après le coup d’Etat. Une liberté d’être, de faire. »
« Il rit et dit qu’il était convaincu qu’ils pouvaient sauter plus haut qu’ils ne le croyaient eux-mêmes, et qu’ils venaient tous de prouver qu’il avait raison.
C’était ce que faisait Tatie Ifeoma avec mes cousins, me rendis-je compte alors : leur placer la barre de plus en plus haut dans sa façon de leur parler , dans ce qu’elle attendait d’eux. Elle le faisait tout le temps, confiante qu’ils pouvaient franchir la barre. Et ils la franchissaient.
C’était différent pour Jaja et moi. Nous ne franchissions pas la barre parce que nous nous en croyions capables, nous la franchissions parce que nous étions terrifiés à la pensée de ne pas y arriver. »
Chimamanda NGOZI ADICHIE, L’Hibiscus pourpre, traduit de l’anglais (Nigeria) par Mona de Pracontal, Le Livre de poche, 2006 (Editions Anne Carrière, 2004)
Une dernière participation un peu tardive au Mois africain chez Jostein
Petit Bac 2021 – Couleur 5