Le nouveau film de Wes Anderson, après L'Île aux chiens en 2018, semble être un nouveau marqueur dans la carrière du cinéaste qui pourrait être l'entrée en matière d'une nouvelle période de son cinéma. Une période qui aurait digéré son expérience dans l'animation ( Fantastic Mr Fox, L'Île aux chiens) et son goût des récits à tiroir ( Grand Budapest Hotel) pour en extraire une quintessence de la forme (visuelle et narrative). En prenant les atours d'un magazine de papier s'inspirant directement du New Yorker, avec ses rubriques et ses articles qui sont de grands récits, le film est une somme qui dépasse l'attendu d'un simple " film à sketches " : il est un récit choral fragmenté en lieux, personnages et lignes temporelles distincts mais partageant tous le même cadre - la ville d'Ennui-sur-Blazé, une Angoulême filmée comme Paris - et l'envie de célébrer le processus de création, que ce soit une production artistique (peinture, cuisine), intellectuelle (un manifeste, des joutes verbales) ou les deux (un journal).
Il trouve la formule idéale pour exposer son dispositif, avec visite des locaux de la rédaction, précédé de l'ascension des étages y menant en un plan digne du Mon Oncle de Jacques Tati ; et une visite trépidante de la ville, ce qu'elle est et ce qu'elle était, à bicyclette par un Owen Wilson toujours parfait chez Anderson même dans une courte apparition. Le cadre est posé.
Le travail sur le noir et blanc, dans chacun des trois récits qui suivent, renvoie de prime abord à tout un pan du cinéma français d'avant et de l'immédiat après guerre. Le réalisme poétique, la nouvelle vague (plus particulièrement Godard), le film noir... toute une palette qui vient nourrir, aussi, une forme de déclaration d'amour à la culture française. Et puis apparaissent, régulièrement, quelques traits de couleur, qui illuminent la découverte ou la présentation d'une oeuvre en particulier. Un instant de transcendance, que le film aménage dans chacun de ses récits, et qui en fait le coeur de son sujet. Car Wes Anderson, dans The French Dispatch, se fascine pour la production intellectuelle et artistique humaine, et le journal en tant que tel, avec ses grands auteurs et son rédacteur en chef au goût très assuré, n'est pas la moindre. C'est son rôle de révélateur - des talents qui y écrivent, des artistes et des oeuvres qui y sont présentés - qui est ici célébré.
Le cinéaste déploie un foisonnement des formes ahurissant, son goût de la vignette et du sur-cadrage renouvelle sans cesse son regard, et il n'est pas vrai qu'il ne laisse plus l'émotion affleurer. Chacun de ses personnages a en lui un abîme de mélancolie, de solitude. Si l'art, la cuisine, l'écriture ou le débat (et son art de la contradiction) sont exécutés avec autant d'ardeur et de passion, c'est bien parce qu'il y a derrière un lien à (re)construire, des racines à se reconstituer. C'est probablement le mouvement le plus beau du film, et le plus secrètement - mais durablement - émouvant. Et s'il aligne autant de stars à l'écran, c'est bien parce qu'il faut pouvoir incarner le plus directement et le plus rapidement possible, comme un peintre cherche la couleur juste pour une nuance dans un reflet, cette galerie d'êtres humains en manque affectif. Il faut ici saluer l'ensemble du casting, évidemment, et en particulier Benicio Del Toro, impeccable en artiste tourmenté, Léa Seydoux, excellente comme à son habitude et en particulier ici en gardienne de prison froide et impassible, Timothée Chalamet en jeune rebelle bercé d'illusions, Lyna Khoudri, une autre française vue cette année dans le très beau Gagarine et ici en militante radicale... ou encore Jeffrey Wright, magnifique en journaliste américain déraciné, isolé.
The French Dispatch redit encore toute la vitalité de l'esprit créatif d'Anderson, une oeuvre qui invite à y revenir en attendant avec impatience le prochain.
Énième blockbuster sur des héros extraterrestres costumés comme des Power Rangers, énième épisode du feuilleton dispendieux " Marvel Cinematic Universe " ... ; ici on nous promettait tout de même monts et merveilles et surtout renouveau puisque les producteurs ont eu l'idée d'en confier la mise en scène à Chloé Zhao, oscarisée cette année pour son joli Nomadland.
Mais que pouvait-elle face aux impératifs du marketing, de la vente de jouets et de l'obligation pour le film d'être le point de départ d'une nouvelle phase, tel le premier épisode d'une nouvelle saison d'une même série qui décidément traîne en longueur ?
Eh bien pas grand chose. Les Éternels est un film étrange qui procède de la greffe ratée entre deux cinémas inconciliables. Il y a une tentative de drame, puisqu'elle manie une famille dysfonctionnelle, et entre deux scènes d'action Zhao tente plusieurs fois de calmer le rythme, de s'attarder sur des regards, des silences, des grands espaces filmés sur place (l'une des grandes satisfactions du film, par rapport au déluge de fonds verts de la plupart des Marvel). Mais l'effet est systématiquement ravagé par les impératifs du récit : un rebondissement par ci, une explication à donner par là, ou pire encore : la fameuse blague Marvel à balancer pour éviter de laisser le spectateur dans l'introspection des personnages.
Mais même sans ce programme infernal le résultat était condamné à l'échec, puisque le film n'a jamais le temps de creuser la personnalité de ses trop nombreux personnages, qui ne sont au final que des archétypes vus et revus ailleurs. On peine à s'identifier à leur mal-être, à comprendre le drame métaphysique qu'ils endurent. Des éternels, présents sur Terre depuis le début de l'humanité, qui se lient parfois à des humains mais sans jamais nous montrer ce que cela signifie, en terme de relation, que d'être amoureux ou amoureuse d'un mortel dont la vie ne représente qu'une fraction de celle de l'autre.
Le film n'investit aucune de ces thématiques, et leurs propres dissensions ne sont que platement esquissées pour arriver le plus directement possible à la rupture. Alors on ne peut qu'essayer de repérer le style de Chloé Zhao, dans un dialogue, un champ-contrechamp, un paysage. Il est présent, certes, mais noyé, presque éteint par cette histoire invraisemblable d'un Dieu qui doit naître de la destruction de la planète et qu'il faut arrêter coûte que coûte.
On ne se consolera pas avec les séquences spectaculaires, certes solidement mises en scène, ce qui représente tout de même un grand bond en avant par rapport aux Avengers, mais finalement très banales, sans idées de chorégraphie. Restent, comme souvent chez Marvel, quelques belles idées visuelles, quelques beaux fonds d'écran diront les plus sévères, notamment lorsqu'une entité cosmique pose son regard sur la Terre, son visage envahissant tout le ciel. Mais là encore, le film ne s'attarde pas, alors qu'il y aurait matière à filmer la panique induite par cette terreur cosmique presque Lovecraftienne, à peine a-t-on droit à des figurants qui s'agitent comme des pantins derrière un Kit Harrington qui fronce les sourcils.
C'est à l'image du film : quelques idées jamais réellement exploitées, avec des personnages en retrait. Pourvu que Chloé Zhao revienne vite au cinéma indépendant.
Edgar Wright est dans un moment de sa carrière où il ne semble plus avoir grand chose à raconter et décider de ses sujets en fonction des séquences qu'il aimerait filmer ou de l'atmosphère dans laquelle il voudrait se plonger. Pourquoi pas. Après la triste vacuité de son Baby Driver, film poseur et faussement cool (n'est pas Tarantino qui veut), le voilà de retour avec un projet que l'on nous vend comme un hommage aux 60's, au giallo et à Londres. Sur le papier ça m'intéresse.
À l'écran ça se passe très mal. Pourtant les acteurs, tous très bons, n'y peuvent rien. J'ai eu quelques instants d'espoir en découvrant Thomasin McKenzie, parfaite dans le rôle de cette étudiante qui vient de la campagne, naïve et émerveillée de tout, nostalgique des années 60 de sa grand mère qui se met à remonter le temps la nuit.
Anya Taylor-Joy, son double d'une autre époque, qui elle aussi débarque à Londres pour suivre ses rêves - devenir chanteuse - crève l'écran, on y résiste pas, Matt Smith non plus. Il y a même Terence Stamp et Diana Rigg, histoire de compléter l'hommage appuyé à cette décennie qui a vu leur gloire éclore.
Mais passée l'exposition et la découverte de ce monde étrange qui lui vient en rêve, on se retrouve devant un vide embarrassant. Wright ne transcende jamais la démarche du petit élève appliqué qui s'amuse avec ses jouets. Alors, oui, il en emballe quelques unes, de belles séquences virtuoses (la scène de danse). Ça, pour épater, il sait faire. Mais derrière, cette histoire de jeunes femmes en chair à canon pour des hommes tous vicieux et obsédés se déroule avec une balourdise confondante. Aucun trouble, aucun mystère dans ce film là. À trop vouloir faire de belles images, il devient impuissant à créer de l'horreur ou du frisson. Même quand il lance sur son héroïne de vilains spectres tout gris, rien ne se passe, ils ne sont qu'une fonction dans son récit, des tâches grisâtres qui crient le manque d'imagination de Wright.
Pire, le film s'effondre sur lui-même dans une résolution risible, voire nanardesque, qui vient presque à l'encontre du discours du film. Il se sauve in extremis par une pirouette un peu facile mais qui n'efface pas le goût de cendre que laisse en bouche ce final parfaitement idiot.
Last Night in Soho n'a rien d'un giallo (pourtant beaucoup de critiques le vendent comme ça) mais il cite beaucoup. S'il lorgne certes du côté du Suspiria d'Argento ou de Répulsion de Roman Polanski, on le voit aussi se servir par exemple des expérimentations de Clouzot sur Romy Schneider pour son Enfer inachevé. Mais de toute cette matière, il ne parvient jamais à en tirer l'atmosphère de terreur et de mystère qu'il y cherche sans doute. C'est un musée de belles images, mais tout est déjà poussiéreux, sans vie. Un ratage.