Mon premier contact avec PAPA DOIT MANGER

Cécile Avougnlankou est enseignante de français au Bénin et elle anime le groupe Femicriture qui recense essentiellement des auteures africaines. Elle organise aussi des cafés littéraires sur plusieurs villes béninoises pour la CENE littéraire. Elle contribue enfin sur Chroniques littéraires Africaines. Elle nous parle de son expérience de lecture de la pièce de théâtre de Marie NDiaye Papa doit manger (éd. de Minuit, 2003)...

C'est le titre "Papa doit manger" qui me fit lire la pièce de théâtre.

Pourquoi cette injonction ? Papa doit manger. Qui lui doit ce repas? Sa femme? Ses enfants ? Ici en Europe ? A t-il acheté de quoi faire le repas? Est-il malade ?

Je sens du machisme, un air de phallocratie! Je sens aussi de l'amour, de l'attachement, de la responsabilité. Et même du respect. Papa est peut-être malade? Je recherche frénétiquement l'auteur en ligne... Cette forte injonction me désespère, m'inquiète et m'intrigue. J'ignore pourquoi. 

J'imagine le père attendant d'être servi. J'imagine sa femme et ses enfants qui se démènent, se cassent la tête et les ongles pour satisfaire papa. Je sens une pression. Une tension dans ce titre... Est-il gentil avec eux? Les galvanise t-il ? 

Allons-y voir de quoi il retourne et je dis à Julie, la bibliothécaire, je prends ce livre...

J'ouvre la pièce et je tombe sur ce père à la porte de chez lui jouant du charme pour entrer chez lui, pour être repris, dix années après. 

Je fais une pause! Dix années après et il exige à être servi? Non mais ! 

J'y retourne. 

Il découvre devant cette portes sa fille, à un certain moment, il s'énerve de ne pouvoir entrer chez lui. 

Quelle prétention de se prendre pour le centre du monde!

Son irresponsabilité et sa légèreté me choquent. Sa couleur de peau noire en rajoute à mon ire. 

Voici ceux qui en Europe détruisent notre image. Je l'ai, à cet instant, pris pour les dirigeants africains la main toujours tendue vers l'Europe à quémander leur pitance depuis des lustres au nom de la colonisation...

Papa doit manger. On le lui doit ce repas dans ce contexte. N'a-t-on pas vidé les bras valides de son continent? Les matières premières ? N'a-t-on pas, année après année, assassiné les dirigeants clairvoyants du continent pour le maintenir dans la précarité et la misère ?

Puis je sors de cette logique politique. 

En Afrique, un homme défaillirait de ne pouvoir s'occuper de siens. Un homme, un vrai connait son devoir. 

Disparaître dix longues années, quelle bassesse ! Mais ce n'était encore le comble de l'irresponsabilité.

Puis ses arguments que je pris pour sincères sur le moment, le dédouanent un peu : Il était allé chercher de l'argent pour s'occuper d'eux. Il revient riche pour les gâter. Il leur ferait oublier ces années de manque. 

Je pense à Camille Chauvignon abandonnée par Ibrahim Konaté dans le roman Au coin de la rue, la vie m'attendait de Flore Hazoumé. Elle n'eut pas la chance de revoir Ibrahim Konaté... 

Papa, lui est revenu au bercail. Voyons voir s'il devient un père comme il faut : responsable, présent...

Double déception pour moi. Ce n'est qu'un escroc venu vandaliser son ex pour sauver le désastre de sa nouvelle vie. 

Pire il joue avec le coeur de maman, une femme blanche aimante qui ne lui tient rigueur de rien. 

Dans cette pièce de théâtre dans laquelle les personnages se racontent et portent des noms de leur rôle nous sommes dans un couple mixte qui a existé. 

Papa est noir. Il a épousé Maman et a eu avec elle deux filles. Puis Papa a disparu dix ans durant et vient de rentrer chez lui. 

Comment sera-t-il reçu ?

Les enfants seraient-ils heureux de revoir leur père? Maman attend elle toujours cet homme où est-elle passée à autre chose? 

Qu'est-ce qui a bien poussé Papa hors de chez lui ? Quelle vie menait-il depuis dix ans ?

Pourquoi doit-on lui assurer le repas ?

Lisez Papa doit manger de Marie N'Diaye et discutons !

Cécile Avougnlankou

Marie NDiaye, Papa doit manger /   Editions de Minuit, 2003 / Photo Marie NDiaye source Wikimedia Commons