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Prisonnier de la raison... (Per Olov Enquist )

Par Jmlire

Prisonnier de la raison... (Per Olov Enquist )PO Enquist, 2013

...Et les pieds dans la boue.

"Le mot médecine, lui avait dit Charcot plus tard, ils se tutoyaient maintenant, vient de Médée, la mère de la sorcellerie. Es-tu magicien alors? avait-elle demandé. Non, je suis un prisonnier de la raison, avait-il dit, avec ses pieds profondément enfouis dans cette boue qu'est la magie.

As-tu envie d'être libéré ? Voulut-elle savoir.

Il laissa passer un long moment avant de répondre. Oui, je voudrais être libéré, dit-il, mais je ne le serai jamais. Et même si je réussissais à libérer mes pieds de cette boue, elle collerait quand même toujours à moi.

C'est pour cela ? demanda-t-elle. Pour cela, répondit-il.

Il dit que sa méthode ne pouvait pas s'expliquer de façon rationnelle, qu'il valait mieux continuer à chercher ce qui ne s'expliquait pas. Elle nota cette phrase, et elle dut se méprendre sur ses propos : L'amour, tout comme la médecine, est une méthode spéculative basée strictement sur les faits...

Porcelaine cassée.

À un moment donné, il décrivit sa découverte de la sclérose en plaques à celui qui fut son secrétaire pendant un an dans les années 1880, un jeune autrichien du nom de Sigmund Freud.

Par hasard, il était entré en contact avec une femme de ménage qui souffrait d'une forme étrange de tressaillements qui la rendaient maladroite dans son travail, si bien qu'elle se trouvait maintenant sans emploi. Charcot l'employa à titre privé, diagnostiqua d'abord ses troubles comme chorea paralysis, déjà décrite par Duchenne, mais s'aperçut très vite que la lente détérioration de son état indiquait une tout autre direction, jusque-là inconnue. Il la garda comme femme de ménage jusqu'à sa mort, malgré les protestations de son épouse, et c'est en l'étudiant qu'il trouva la piste qui le mènerait à la définition et au diagnostic définitif de la sclérose en plaques. Diagnostic qui se confirma effectivement à la mort de la servante, Charcot étant en mesure de pratiquer immédiatement une autopsie, puisqu'il avait libre accès à son cadavre, et son analyse put ainsi être vérifiée.

Il accepta sa maladresse de plus en plus accentuée jusqu'à sa mort, ce qui le mit sur la bonne piste, et rendit les dernières années de cette femme à la fois supportables et dignes.

Cela se passa cependant au prix d'une quantité effroyable de porcelaine cassée..."

Per Olov Enquist : extraits de "Blanche et Marie", Éditions Actes Sud, 2006.

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