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Il n'y a de torride que votre regard.

Par Georgesf

Il n'y a de torride que votre regard.
Il n'y a de torride que votre regard.


Les concours de nouvelles m'ont beaucoup apporté, mais je n'y participe plus. Je le regrette parfois car ils m'apportaient d'agréables revenus d'appoint. Mais, même quand le règlement ne l'interdit pas, il serait disgracieux de venir jouer des coudes aux côtés d'auteurs amateurs qui, eux, trouvent dans ces concours une occasion de se faire publier en recueils collectifs, ou simplement de se faire mieux connaître.
Il y cependant des cas où j'ai moins de scrupules, ce sont ceux qui voient participer une majorité d'auteurs publiés (Prix Hemingway) ou qui proposent un prix supérieur à ce qu'on peut gagner avec un livre publié. Cela fut le cas pour le concours Boucheron, où le premier prix était une bague composée de quatre anneaux d'or enchâssés qui finalement devait être très moche, puisque je ne l'ai pas gagnée.
Le texte devait bien sûr parler de cette bague "Quatre" de Boucheron et le thème imposé était "Les instants précieux". La longueur maximum était de 2.000 signes (espaces inclus), ce qui est terriblement frustrant. Je n'arrive pas à écrire de nouvelle qui se tienne en si peu d'espace. Pourquoi ? Parce qu'un récit, même minimal, occupe déjà à lui tout seul plus des trois quarts de l'espace.
La nouvelle doit alors se priver de ce qui, pour moi, en fait le charme : les incidentes.
Je suis coutumier des incidentes dans la nouvelle. Elles permettent d'en ralentir le rythme, pour ensuite l'accélérer par une ellipse. On peut surtout y déposer de brefs éclairages qui sont en fait le vrai sujet de la nouvelle. Le récit n'est qu'un prétexte.
Je n'ai pu y parvenir cette fois-ci.
J'aurais voulu relever le texte de fugitives pensées : celles du peintre qui explore le corps d'une femme mieux qu'aucun amant ne saura jamais le faire. Celles de la femme, sous le regard de l'artiste, qui lui offre, peut-être avec un plaisir émoustillé, sa nudité et beaucoup plus : l'énigme qu'elle porte en elle et ne peut résoudre seule.
Comment voulez-vous raconter cela en 2.000 signes ? Je n'ai donc envoyé que ce texte. Une sorte de lotte un peu sèche, sans sauce, sans condiments. Pour ne pas jeter, je le publie ici. Si vous voulez du torride, allez vous balader sur la plage.
Et avec 6.000 signes de plus ? Ah, avec 6.000 signes de plus...

L’atelier

On avait sonné. Alvaro posa son pinceau et vérifia sa mise : sa visiteuse, la marquise d’Aa, serait-elle sensible à son charme latin ? Ce moment était précieux pour sa carrière. Depuis son veuvage, la riche marquise s’était entichée de peinture : son goût était sûr, elle avait lancé maints jeunes peintres.

La marquise entra, le sourire modeste, le regard impérieux. À son doigt, une bague luisait subtilement de ses quatre ors. Elle contempla les toiles accrochées çà et là. Alvaro ne peignait que des nus, et elle semblait les apprécier :
-   Mais, monsieur, ces jeunes femmes ne sont jamais les mêmes, me trompé-je ?
Alvaro confirma. La marquise voulut savoir comment le peintre s’y prenait pour trouver tant de modèles différents.
-   Je propose à certaines de mes visiteuses de poser, madame.
-   Mais comment osez-vous le leur demander ?
-   Oh, je leur suggère très gentiment «Consentez-y sans crainte, c’est à l’art que vous offrez votre pudeur. Je ne poserai sur votre corps qu’un œil d’artiste et… »

Et Alvaro se tut, ébahi : la marquise était en train de se dévêtir.
-   Puisque vous me le suggérez si gentiment, j’y consens sans crainte, monsieur.

La marquise d’Aa avait un corps oblong, joliment modelé. Sa peau était une opaline, à l’exquise transparence ; même son jardin intime n’était que légère frondaison. Elle prit aisément la pose, allongée sur un sofa, et Alvaro dut à peine déplacer le fragile poignet, le temps de se sentir enflammé par le velouté de cette peau.

La lumière de l’atelier était douce, et semblait errer avec volupté sur le corps menu. Alvaro eût volontiers laissé son regard l'accompagner, mais il lui fallait garder un œil d’artiste. Ce qui le fascinait, le perturbait, c’était l’éclat de cette bague. Il lui fit encore bouger le poignet et soupira : les luisances des ors se combinaient si finement. Comment son pinceau pourrait-il en exprimer le mystère ?
-   Pourriez-vous ôter votre bague, madame ?
La marquise d’Aa se leva, blême :
-   Jamais ! Jamais aucun homme ne m’a fait une proposition aussi… indécente.
Elle se rhabilla sans un mot. Et s’en fut, laissant dans son sillage une lumière plus sombre

 
Et depuis ce jour, la carrière d’Alvaro lui paraît plus obscure.


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