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Langue maternelle et émotion culturelle marocaine

Par Abdesselam Bougedrawi @abdesselam
LANGUE MATERNELLE ET ÉMOTION CULTURELLE MAROCAINE

LANGUE MATERNELLE ET ÉMOTION CULTURELLE MAROCAINE

Il n’y a pas lieu de confondre, à priori, culture, identité, et religion. Il s’agit de concepts différents qui ne se rencontrent pas forcément. Une culture n’est pas seulement l’appartenance à un pays particulier, une communauté particulière. Une culture n’est pas seulement l’écoute d’une certaine musique, ou l’adhésion à certaines coutumes. Une culture est avant tout une émotion. Une émotion qui nous submerge lorsqu’on écoute sa musique, lorsqu’on est avec ceux qui nous ressemblent.

Cependant, pour ressentir cette émotion il faut comprendre sa langue maternelle. La langue maternelle est la matrice où s’élabore l’identité culturelle d’un individu.

On se dit bonjour dans sa langue maternelle. Cette simple politesse est porteuse de tradition et de culture. On ne considère pas le mot « bonjour » seulement en lui-même, mais la façon dont il est prononcé, c’est-à-dire son intonation ; les circonstances où il est dit. Se dire bonjour dans sa langue maternelle, d’une certaine manière, est la première interface de sa culture. Par le passé, sous l’influence de certains films, ou d’une certaine idéologie religieuse, on a vu ce premier signe de notre culture se métamorphoser. Tout cela est derrière, et, heureusement, notre âme culturelle revient toujours.

L’émotion que l’on ressent à l’écoute de notre musique n’est pas uniquement due à la mélodie dans l’absolu, les paroles ont également une importance cruciale. Non seulement les paroles, mais la façon dont elles sont prononcées. Cela est le reflet de quelque chose qui est enfoui en nous, tapis dans les replis de notre inconscient, mais qui ressurgit à l’écoute de nos chansons. C’est là notre émotion culturelle.

Les autres musiques peuvent très bien procurer d’autres types d’émotions telle que la nostalgie. Mais cette émotion nostalgique est surtout rattachée à des événements. L’émotion culturelle est liée intimement à notre nature marocaine. Il n’y a point d’émotion culturelle sans langue maternelle. L’émotion nostalgique, elle, est indépendante de la langue.  La différence est fondamentale.

Dans notre culture marocaine, l’écoute du « Tarab Andaloussi » est porteuse d’une très forte émotion culturelle lorsqu’on l’écoute lors de nos fêtes. Ce genre de musique est tellement incrusté en nous, qu’il envahit notre univers mental et précède et prépare les fêtes elles-mêmes.

Du reste, ce qui manque essentiellement aux expatriés, c’est justement cette émotion culturelle. Ils font tout pour la reproduire du mieux qu’ils peuvent.

Lorsque des Marocains, d’une certaine époque, écoutent les Beatles, ils sont dans une autre dimension de l’émotion. Le spectre de cette émotion peut être large, allant du regret, au spleen. Il s’agit ici de l’émotion nostalgique.

L’émotion culturelle, elle, est rattachée toujours aux mêmes éléments : ce que nous sommes, ce que nous avons été, et ce que nous serons toujours.

Les enfants d’immigrés qui perdent leur langue maternelle, sont ainsi dans l’incapacité de ressentir cette sublime émotion lorsqu’ils écoutent la musique de leurs parents.

En fait, il n’y a pas que l’écoute musicale qui fasse resurgir l’émotion culturelle. L’exemple de la musique est pris parce qu’il est plus simple d’y recourir ; mais ce qui est vrai pour la musique, l’est également pour les rencontres, les retrouvailles, les célébrations de mariage, les fête, les repas ensemble, être avec ses parents.

Il ne faut surtout pas confondre identité culturelle et culture. Dans l’absolu, on n’a pas forcément besoin d’avoir une identité culturelle qui est quelque chose de construit. L’exemple le plus frappant est celui de la laïcité en France. On a voulu en faire une culture, cela ne sera jamais possible. Probablement, on ne pourrait même pas en faire une identité culturelle. S’il est possible de créer faussement une identité culturelle, il est impossible – ou presque – de créer une culture. La laïcité ne procure aucune émotion culturelle, mais plutôt des griefs émotionnels. Sentiments, assurément, antagonistes. À l’inverse, il y a dans les anciennes chansons françaises, dans les chansonnettes, dans les valses musettes, toute la force de l’émotion culturelle française. Jusqu’à quand ?

L’identité culturelle ne se confond pas toujours avec la culture. En effet, certaines identités culturelles se construisent de façon surfaite en réaction à une autre culture. C’est l’exemple des enfants d’immigrés, qui, en Europe, se fabriquent une identité culturelle refuge ou de substitution.

On pourrait en rapprocher le souverainisme, voire les idéologies d’extrême droite, qui bâtissent une fausse identité culturelle vengeresse.

L’une des grandes caractéristiques de notre culture marocaine est qu’elle n’est pas forcément rattachée à la religion. Elle est rattachée, en partie, à notre langue maternelle. En effet, une grande part de ce qui fait l’Être Marocain est dû aux juifs, qui sont de religion différente de celle des musulmans. C’est un fait que beaucoup oublient.

Cela est tellement vrai, que beaucoup de juifs, même quand ils sont « chez eux » en Israël, n’arrivent pas à s’intégrer dans cette société. On continue de les appeler « Les Marocains ». La culture dépasse l’horizon religieux.

Ceci souligne la particularité de notre culture marocaine qui se confond de façon inconsciente avec notre identité. La culture marocaine n’est pas seulement une affaire de diversité, et Dieu sait combien le Maroc est diversifié, elle est également affaire de convivialité. La convivialité, chez nous Marocains, est le mot clé. C’est le fil conducteur de ce que nous sommes.

Le mot convivialité – faute de mieux – est un mot puissant, porteur d’un passé et d’un présent. Mais, chose particulière, porteur également d’un avenir ou d’un futur commun. Il n’est jamais porteur d’un projet commun. Le projet commun est un concept important, mais c’est autre chose. Il lui manque l’émotion de la spontanéité et surtout suggère une uniformité standardisée de notre société. Ce qu’elle n’est surtout pas.

La compréhension de ce que « être Marocain » est ardu pour les non marocains. Cela pourrait expliquer l’aversion de certains envers nous.

En tant que marocains, nous sommes, en réalité, le reflet des choses précieuses que l’humanité, dans une grande partie, perd progressivement. De ce que l’humanité ne sera plus jamais.

Aussi, le danger qui guette notre pays n’est pas l’aversion que nous vouent certains. Le grand danger provient d’une partie de nos intellectuels qui voudraient, pour des raisons purement idéologiques, détruire l’âme de ce que nous sommes.

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