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(Note de lecture) Hope Mirrlees, Paris, par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé


Paris est d’une femme


Hope Mirrlees  Paris
Il souffle un vent de liberté dans Paris de Hope Mirrlees qui paraît aux Belles lettres dans la belle collection « Poésie magique », traduit, introduit et noté par Louise Moaty, par ailleurs elle-même poète.
Sur la couverture de chaque volume de cette collection qui comporte maintenant dix titres, figure herbe ou fleur, légèrement en relief, tirée de l’Herbarium d’Emily Dickinson.
La première édition de ce livre fut publiée par la Hogath press de Virginia et Léonard Woolf en 1920. Comme les autres, ce petit volume est très soigné, illustré de façon impeccable.
La forme d’un livre est aussi importante que le cœur de son lecteur…
On aimerait toutefois que tous les poèmes soient bilingues (ici deux le sont), même si nous comprenons les problèmes de coûts…
Hope (espoir) est en soit une belle promesse, elle aurait pu s’appeler freedom (liberté), c’eut été pareil. Cette femme tombe sous le charme de Paris, comme nombre de poètes de la fin du XIXème, un Paris encore baudelairien et déjà surréaliste. Née en 1887 et décédée en 1978, Hope Mirrlees mène une vie aventureuse et libre. Vivant avec sa compagne Jane Harrison, intellectuelle de talent, Hope Mirrlees a toutes les audaces et toutes les libertés. Elle perd de sa lumière à la mort de Jane Harrison, écrira alors peu et plus dans cette forme si ouverte.
Début du XXème siècle, on flâne encore dans Paris comme Baudelaire l’a fait, comme Walter Benjamin va le faire. Le cœur de la ville est plus sensoriel qu’aujourd’hui, le piéton de Paris pour parler comme Fargue, est pris dans « l’immédiateté de ses sensations », nous explique Louise Moaty dans sa préface et celle-ci comme celle-là donnent une totalité que Mirrlees nomme « holophrase » : « ville auteure et poème ne formeront plus qu’un. » dit Louise Moaty. Hope est une femme, elle se prend la ville dans la figure, par tous ses sens, bien différemment d’un homme.
Morts et vivants, publicités et taxis, monuments et cimetières s’entrechoquent dans une forme libre, parfois énigmatique, qui heurtera même les avant-gardes…
C’est en cela un recueil intensément « daté », tout a disparu aujourd’hui de ce Paris-là. Souvenez -vous de Dubonnet ou de Byrrh ? C’est dans ce livre, en poème-train comme un poème de Cendrars (même époque). Comme églantine et crocus dans la ville, vous en souvenez-vous ? Non, c’est fini. Du Bottin et de Bossuet ?! Encore moins, sauf chez Modiano… Galeries Lafayette et Bon Marché, bourgeoises et prostituées, Molière et Voltaire  ? Tout est ici mais comme dynamité. Rien d’uniforme, mais une ville de pulsations.
Toutefois :
« Paris est un immense paysan nostalgique
Qui porte un millier de villages dans son cœur 
»,
combien c’était vrai ! En effet la province était omniprésente par les bistrots lyonnais ou auvergnats, les accents.
Le Paris contemporain est différent.
Mais ce livre agit sur nous comme un recueil de photographies sonores, poèmes vifs, à la limite toute proche de ce que feront les surréalistes.
Nous ne l’avons pas connu, mais tout en nous l’imagine.
Isabelle Baladine Howald
Hope Mirrlees, Paris, présenté, traduit et annoté par Louise Moaty. Édition enrichie de photographies d'époque. Les Belles lettres, coll. Poésie magique,  116 p., 19€
Poèmes pp. 5 et p 42 :

Je veux une holophrase
NORD-SUD
ZIG-ZAG
LION NOIR
CACAO BLOOKER
Vases peints en noir dans des tombeaux étrusques
RUE DU BAC (DUBONNET)
SOLFÉRINO (DUBONNET)
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Brekekekek coax coax on passe sous la Seine
DUBONNET
La Femme écarlate criant BYRRH assourdit Saint Jean à Patmos

Vous descendez Madame ?

QUI SOUVENT SE PÈSE BIEN SE CONNAÎT
QUI BIEN SE CONNAÎT BIEN SE PORTE

CONCORDE
Je ne peux pas
Je dois ralentir
*
I want a holophrase
NORD-sud
ZIG-ZAG
LION NOIR
CACAO BLOOKER
Black-figured vases in Etruscan tombs
RUE DU BAC (DUBONNET)
SOLFÉRINO (DUBONNET)
CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Brekekekek coax coax we are passing under the Seine
DUBONNET
The Scarlet Woman shouting BYRRH and deafening St John at Patmos
Vous descendez Madame ?

Qui souvent se pèse bien se connait
Qui bien se connait bien se porte
CONCORDE
I c’ant
I must go slowly
/
Toutes les cartes marchent avec une allumette !
AUBE
Pour Verlaine l’heure du coucher... Alchimie
Absinthe
Tabac d’Alger,
Parler, parler, parler
pour rendre fertiles les pâles violettes-de-lune
Le Président de la République est couché près de sa
femme et peut-être à ce moment précis...
Dans l’abbaye de Port-Royal des bébés sont en train de naître
Quelqu’un peut-être qui ne peut pas dormir lit Crime et châtiment
Le soleil se lève,
Bientôt les Halles vont ouvrir,
Le ciel est safran derrière les tours de Notre-Dame,
JE VOUS SALUE PARIS PLEIN DE GRÂCE
3 rue de Beaune
Paris
Spring 1919
*
Toutes les cartes marchent avec une allumette !
DAWN
Verlaine’s bed time . . . Alchemy
Absynthe
Algerian tobacco
Talk, talk, talk,
Manuring the white violets of the moon
The President of the Republic lies in bed beside his
wife, and it may be at this very moment . . .
In the Abbaye of Port-Royal babies are being born,
Perhaps someone who cannot sleep is reading Le Crime et le Châtiment
the sun is rising,
Soon les Halles will open,
The sky is saffron behind the tow towers of Nôtre-Dame.
JE VOUS SALUE PARIS PLEIN DE GRACE ;
3 rue de Beaune
Paris
Spring 1919


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