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Des Misérables (in)adaptés

Publié le 06 décembre 2021 par Morduedetheatre @_MDT_
Des Misérables (in)adaptés

Critique des Misérables, de Chloé Bonifay, Lazare Herson-Macarel d’après Victor Hugo, vus le 24 novembre 2021 au Théâtre de la Tempête
Avec Marco Benigno, Philippe Canales, Céline Chéenne, Émilien Diard-Detœuf, David Guez, Sophie Guibard, Éric Herson-Macarel, Karine Pédurand, Claire Sermonne, Abbes Zahmani dans une mise en scène de Lazare Herson-Macarel

Lazare Herson-Macarel, cela faisait un petit bout de temps que je ne l’avais pas revu. Découvert lors des Journées du Conservatoire en 2011, je suis depuis de loin son parcours en essayant de voir son travail dès que je le peux. J’avais beaucoup aimé son Cyrano mais manqué Le Ciel, La Nuit et La Fête dans lequel il jouait cet été au Festival d’Avignon (je n’ai d’ailleurs pas encore dit mon dernier mot !). Et le Covid a failli avoir raison de nos retrouvailles aux Misérables – je profite d’ailleurs de cet article pour remercier le Théâtre de la Tempête d’avoir accepté le report de ma place pour cause de maladie. Mais a-t-il vraiment eu raison de reporter mon billet ?

Monter Les Misérables, sacré challenge ! Lazare Herson-Macarel a souhaité transposer à notre époque les personnages célèbres de Victor Hugo, en adaptant leurs problèmes, leurs misères et leurs rêves. Mais il faut avant tout poser le décor, présenter les protagonistes, et c’est ce à quoi va s’atteler le début du spectacle. C’est comme un résumé des deux premières parties du livre sous forme d’un enchaînement de scènes très courtes, qui sont un peu les images marquantes des Misérables : l’épisode du chandelier, la détresse de Fantine, la vente de ses dents et de ses cheveux, la maltraitance de Cosette…

Il y a plusieurs choses qui m’embêtent dans cette première partie. La première, c’est la forme. Les scènes sont entrecoupées de noirs aveuglants qui certes permet des changements de décor, mais qui sont parfois presque aussi longs que la scène qui les suit, ce qui casse complètement le rythme et nous empêche d’entrer vraiment dans la pièce. Cette première partie aurait probablement gagné à supprimer les changements de décors en occupant différemment l’espace scénique et en remplaçant les noirs par des focus lumineux sur l’une ou l’autre partie du plateau suivant les scènes. D’autant que ce sont vraiment les scènes les plus connues de l’oeuvre : on a presque envie de faire avance rapide devant certains tableaux.

La deuxième, c’est le choix des passages. Contrairement à la deuxième partie du spectacle, où on assiste à une véritable adaptation de l’oeuvre, ici on est de manière assez brute chez Victor Hugo, avec comme seul changement notable le positionnement dans les années 2000. Mais certaines choses ne fonctionnent pas : dans les années 2000, on ne confie pas ses enfants à des aubergistes et on ne vend pas ses dents. J’ai ressenti dans ce début de spectacle le poids de l’oeuvre monstre sur les épaules du metteur en scène, comme s’il n’avait pas réussi à s’en libérer tout de suite.

Des Misérables (in)adaptés
© Baptiste Lobjoy

J’aurais vraiment pas mal de choses à reprocher à cette première partie. Et pourtant, en la voyant, je ne peux m’empêcher de trouver ça beau et parfaitement exécuté. Le choix qui est fait est clairement celui de l’image et je n’ai rien à reprocher de ce côté-là. Je bous à chaque noir mais je regarde quand même avec attention chaque scène. Partir n’est jamais une option. Et lorsqu’enfin la seconde partie débute, je ne regrette pas d’être restée.

Cette deuxième partie présente aussi des défauts. Les noirs sont remplacés par des transitions en pleine lumière avec une musique électro – quelque part, c’est mieux, sans être idéal non plus. On se détache progressivement de Hugo en plaçant la troisième partie du roman dans un hôpital psychiatrique : Gavroche est un fou et les barricades sont des manifestations du ras-le-bol des soignants. Ça ne se tient pas entièrement, mais c’est une belle tentative. L’adaptation cherche probablement à en faire trop et tout y passe : les précaires, les soignants, le réchauffement climatique… L’action est située dans le temps et dans l’espace (on passe par Aubervilliers ou encore par Dunkerque) et ces précisions réalistes sont inutiles et même nuisibles pour l’ensemble. Vu de loin, ces deux parties semblent n’avoir pas su choisir : il y a à la fois trop de Hugo et trop de précisions pour essayer de faire vivre l’adaptation – le tout manque d’authenticité.

Mais le rythme s’accélère, les personnages prennent de la consistance et se mettent à exister réellement devant nous. L’originalité de l’adaptation permet de renouveler mon intérêt et me voilà subitement captivée par ce qui se passe devant moi. Il faut dire que le meneur de troupe, Émilien Diard-Detœuf, est simplement fabuleux. Parler de son énergie serait trop bateau pour rendre compte de ce qu’il incarne réellement sur scène, et son Gavroche psychédélique est probablement la grande réussite de cette deuxième partie.

Cette adaptation des Misérables m’a mi-fascinée, mi-ennuyée. Les images sont d’une grande qualité, le travail est là, mais l’ambition était peut-être un peu trop grande, ou pas suffisamment bien définie. Je m’y perds scénaristiquement mais m’y retrouve scéniquement. On ne donne pas tout de suite les noms des personnages mais l’oeuvre de Hugo est trop présente malgré tout. La deuxième partie m’emballe vraiment, mais on n’y voit pas assez Jean Valjean, génial Éric Herson-Macarel, à mon goût. L’idée de l’hôpital psychiatrique pourrait fonctionner, mais les évocations des multiples problèmes sociétaux sont de trop.

Je suis donc mi-figue, mi-raisin. Mais plutôt raisin, quand même.

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Des Misérables (in)adaptés
© Baptiste Lobjoy

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