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(Anthologie permanente) Stacy Doris, Mue

Par Florence Trocmé


MueLes éditions P.O.L. publient Mue de Stacy Doris, dans une traduction de l’américain de Pierre Alféri et Anne Portugal.
Au champ couler chaud
pas libellule où
s’accrocher vaut-il
de tout demander
pour deux ? sinon fixe
peut-on tout avoir
sauf pour deux si là
ma corde à moi-même
couler à barrière
rien là vaut si chaud
deux au doux marché
le tout demandé
peut-on tout avoir
assis en tailleur
tous deux à ramer
Chauds câlins du jour
chauds méli-mélo
là oui là. Qui verse
plein cailloux aussi
verse plains-chants, rare
le vœu de rester. Ou
si je me recule
enconfiturée
viens fais ça chez moi
La clarté me souille,
pareille au chiffon
qui fait son retour
gorgé, quant aux veines
plongées accessoires
la racine s’en
racine enveloute
Ballant ça balance
doudou, l’élastique
tendu sans détente
compact on y va
perchés dans le noir
le lac on le vide
on paie en raisins
Jour, face, air, lait pèle
peau. Tranchée ma bave
dans le lent terreux
de tout, veloutée
l’écume du fruit
t’enrobe et te fouette
teinture à filtrer
fluide nous dupe
rien senti haltères
contre rame et chauds
degrés de velours
(...)
Stacy Doris, Mue (Une phénoménologie de l’esprit), traduit de l’américain par Pierre Alferi et Anne Portugal, P.O.L., 2021, 108 p., 13€
Sur le site des éditions P.O.L.
Ce livre, écrit juste avant sa mort, pendant sa maladie, constitue un testament amoureux destiné à Chet, son mari, autant qu’à leurs deux enfants, alors âgés de quelques courtes années. Le titre anglais, Fledge, évoque l’apprentissage du vol par les oisillons, la sortie du nid, ou le moment où ils se couvrent de jeunes plumes, leur mue. Poèmes particulièrement adressés, donc. Particulièrement tendres. Tout le volume fonctionne par paires contiguës, par effets de ressemblance ou dissemblance. Il s’agit souvent de distinguer l’un de l’autre, ou de les superposer. Chacun de ces binômes est traversé par la fracture qui produit deux Stacy, celle d’avant et celle d’après la maladie ; par la souffrance et par la difficulté pour la première de s’ajuster à la nouvelle : « ma façon d’être autre-/ment, si autrement. »
Le livre bénéficie d’une co-traduction de deux poètes français, très proches de Stacy Doris et de son travail : Pierre Alferi et Anne Portugal. Traduction qui privilégie le vers de cinq pieds, bannissant les mots longs, usant de monosyllabes, plutôt rares et peu usités en français. Pour rendre l’apprentissage du mot veuf, de l’impair du veuvage que l’autrice anticipe et prépare dans ses vers, moteur puissant du recueil, générateur d’outretombe d’une douceur-douleur inouïe.
On peut lire la préface des traducteurs et l’avant-propos du livre, en ligne, ici.
On peut lire ici la biographie et la bibliographie de Stacy Doris


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