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Spider-man No Way Home, le film somme du parfait petit pubard d’Hollywood.

Publié le 23 décembre 2021 par Franck Lalieux @FranckLalieux
Spider-man No Way Home, le film somme du parfait petit pubard d’Hollywood.

Spider-man No Way Home, troisième film de Spider-man dans la licence dite du " MCU " (sans compter ses apparitions dans d'autres films de la franchise), est peut-être le film, tous studios confondus, qui affiche le plus clairement ses intentions commerciales mortifères.

Scorsese, dans les griefs qu'il portait justement contre ce type de films (qui pour lui n'ont plus grand chose à voir avec le cinéma mais tiennent plutôt du parc d'attraction. On pourrait faire un lien avec les débuts du cinématographe, façon Méliès, quand le film n'était pas encore un art mais réellement une attraction de foire, encore faudrait-il, comme le français, porter une attention toute particulière à ses effets...) déplorait dans ceux-ci le fait qu'ils ne sont plus vraiment connectés à l'expérience humaine, l'expérience du monde, des notions indispensables à l'art en général.

Dans ce type de films, seules comptent les " récompenses " directes à donner au spectateur, ce qui suppose au préalable d'avoir sondé des échantillons représentatifs pour comprendre ce que la majorité attend de voir dans un film. Si l'on est organisé, pas besoin d'aller bien loin. Il suffit de faire des veilles sur les réseaux sociaux avec les mots clés adéquats ou de compulser les vidéos des youtubeurs/influenceurs, du genre de ceux capables de déblatérer pendant plus d'une demi-heure sur un teaser d'une minute. Dès vidéos qui servent, parfois à leur corps défendant, à créer tout un climat d'attente indispensable dans la stratégie marketing des studios.

Dans No Way Home, l'entrée en scène des personnages issus de la trilogie bien aimée de Sam Raimi, ses méchants emblématiques et son Peter Parker délicieusement candide obéit à ce principe. Pour le Spider-man d'Andrew Garfield, c'est plus compliqué, les films n'étant pas aussi populaires. Mais on avait tâté le terrain, par des rumeurs, des fuites qui affolaient tout le monde. Un plan large, dans la bande-annonce, qui montre Spider-man à gauche de l'écran sur fond d'échafaudage sauter sur trois ennemis à droite de l'écran, indiquait même que dorénavant, on peut montrer au monde que l'image produite, sa composition et ses lignes de force sont moins importantes que d'atteindre un équilibre idéal entre marketing au bulldozer et surprise à préserver. C'est ce fameux plan d'ensemble, un seul Spider-man contre trois ennemis, avec le Lézard en images de synthèse qui semble se prendre un coup de poing invisible tandis que l'Araignée se trouve assez loin de lui. Tout le monde a compris. Les génies pubards de chez Sony ou Disney ont carrément effacé de l'image deux personnages numériques, mais en laissant cet effacement suffisamment visible pour que le fan soit alléché à l'idée d'une réunion de héros.

Spider-man No Way Home, le film somme du parfait petit pubard d’Hollywood.
Extrait de la bande annonce, dans lequel deux personnages ont été effacés.

Pour Sony et Disney, tout cela répond donc à une volonté de réaliser comme un grand colloque d'entreprise, Sony étant détenteur des droits et Disney distributeur. Il y a un besoin de " valoriser la marque " et assurer toute une déclinaison de produits dérivés - dont d'autres films - et c'est en cela que la version Andrew Garfield du personnage est intéressante à afficher de nouveau dans un film, car si Maguire apparaît bien dans Spider-man No Way Home, il n'est qu'un appât pour toute une génération de nostalgiques. L'acteur s'étant depuis quelques années détaché des grosses productions, travaillant parallèlement comme producteur sur de nombreux projets, il est peu probable qu'il veuille renfiler un jour le costume de Spider-man pour d'autres films en dehors d'une apparition comme celle-ci (dans laquelle il semble faire comprendre au spectateur qu'on ne l'y reprendra plus. On y reviendra).

Cette histoire d'exploitation partagée entre les deux studios va bien devoir se régler un jour. Spider-man est trop important pour Disney, c'est l'un des personnages les plus populaires du MCU. Mais Sony, de son côté, a commencé à esquisser les contours d'un autre " univers " cinématographique, avec ses Venom et bientôt Morbius.

D'ailleurs, on peut interpréter certaines de leurs contorsions dans les scènes post-génériques comme un brainstorming toujours en cours, pour lequel on viendrait tester les fans. Ainsi, à la fin de Venom 2 le personnage expérimentait un univers parallèle qui est celui du Spider-man de Tom Holland. Puis, dans ce Spider-man No Way Home, dans une scène post-générique, le personnage disparaît pour ré-intégrer sa dimension, non sans avoir laissé un bout du symbiote noir qui à n'en pas douter viendra se greffer sur un hôte pour se battre dans un futur film contre Tom Holland.

Si on laisse de côté les bêtises fantaisistes d'univers parallèles qui se rencontrent n'importe comment, on peut supposer ici quelques hésitations sur la suite à donner à toutes ces franchises. Faut il intégrer le personnage de Tom Hardy dans les films avec Tom Holland ? Mais dans ce cas il évoluerait au sein d'intrigues créées pour les films Disney, or Venom fonctionne très bien au Box Office pour Sony. Pourtant, Disney, qui continue d'égrener la liste des villains de Spider-man pour justifier ses films en solo, doit sûrement avoir envie de mettre en scène le grand méchant tout noir.

Et voilà comment ces discussions sûrement capitales chez les cadres exécutifs des deux studios se sont réglées, à coup de scènes post-génériques, qui n'existent soi disant que pour le plaisir des fans mais sont en fait des moyens peu subtils de : soit tester les réactions du public sur de futurs projets, soit faire des ajustements dans le fil rouge narratif qui régit tous les films qui gravitent dans ces univers au gré des fusions-acquisitions. Une pure logique d'entreprise.

Ainsi, si l'on part du principe que le studio Sony va poursuivre sa tentative d'univers filmique basé sur les personnages de la licence Spider-man, ce que nous suggère la sortie prochaine de Morbius avec ce pauvre Jared Leto, on se rend bien compte qu'il manque dans cet univers un personnage capital : Spider-man.

Spider-man No Way Home, le film somme du parfait petit pubard d’Hollywood.
Future poule aux oeufs d'or ?

Et l'on comprend tout d'un coup l'intérêt de faire revenir Andrew Garfield. On assiste dans le film à une réactivation à marche forcée de son personnage. Comme il n'est pas le sujet principal du film, il lui faut parvenir à exister puis à convoquer le trauma principal de son Spider-man en très peu de temps, d'où cette impression d'avoir à l'écran une marionette de vitrine de Noël conçue pour convoquer les souvenirs d'enfance. Mais l'objectif est atteint, et ces quelques instants de connivence avec le spectateur sont parvenus à rendre les films Amazing Spider-man meilleurs dans les esprits qu'ils ne le sont en réalité. Ainsi est apparu, le jour même de la sortie du film, le hashtag #MakeTASM3 (TASM3 pour The Amazing Spider-man 3, qui n'a jamais vu le jour suite aux résultats " décevants " de The Amazing Spider-man 2, laissant le Spider-man d'Andrew Garfield privé d'une conclusion satisfaisante pour ses quelques fans), sur le modèle du hashtag #ReleaseTheSnyderCut qui avait poussé la Warner à sortir sur HBO Max la director's cut de 4h du film de Zack Snyder, Justice League.

Sauf que cette fois, ce n'est plus au corps défendant du studio qui avait taillé à la hache dans le gras du film de Snyder pour avoir la version la plus commercialement exploitable ; ici ce hashtag est une conséquence ATTENDUE, ou plutôt espérée. Et c'est clairement l'un des objectifs de No Way Home, sous couvert de nostalgie et de " fan service " : jeter un appât pour voir si le poisson mord. Et il a mordu fort, il serait donc commercialement stupide pour eux de ne pas relancer leur propre version du personnage face à Tom Hardy ou Jared Leto, et tout cela commence à être plus ou moins confirmé par des fuites/rumeurs ou des détails dans la bande annonce de Morbius.

Spider-man No Way Home, le film somme du parfait petit pubard d’Hollywood.
Morbius qui tâte le terrain subtilement.

Tout ceci étant dit, on peut maintenant aborder Spider-man No Way Home pour ce qu'il est : un film qui n'essaie même plus de donner l'illusion du divertissement bien fait, qui est techniquement indigent, à la dramaturgie totalement déficiente, conçu comme une visite au musée Grévin (ou Mme Tussaud, ça marche aussi bien).

Il y a l'esquisse, au tout début puis à la fin du film, d'un petit teen-movie sur le passage à la fac, qui à défaut d'une mise en scène solide pouvait au moins compter sur l'alchimie de son couple star, Tom Holland et Zendaya (la plus charismatique des deux), mais tout est balayé dans ce qui ressemble à une séance de brainstorming sous Lexomil tellement les idées sont paresseuses et laborieuses.

Le film ne cache même pas son côté " musée Grévin " évoqué plus haut, tous les méchants rencontrés, arrivés tout droit des deux autres franchises, finissent en vitrine dans la galerie caverneuse du Dr Strange. Les corps sont dévitalisés, les visages figés sous le maquillage numérique (Octopus, l'Homme Sable) voire constamment cachés dans l'obscurité (le Lézard). Seul Willem Dafoe a l'air de s'amuser en retrouvant le Bouffon Vert, mais sans direction d'acteur et sans ligne dramatique satisfaisante, il ne peut compter que sur ses grimaces et son rire machiavélique, ce qu'il fait toujours très bien.

Spider-man No Way Home, le film somme du parfait petit pubard d’Hollywood.
Bien sage dans sa vitrine, avec probablement une bonne quantité de formol.

Le plus terrible, c'est que le film n'essaie à aucun moment de surpasser les apparitions précédentes de ces personnages emblématiques, en terme de mise en scène et d'effets spéciaux. Tout est bâclé, dans cette photographie terne, fadasse qui est le standard de ce genre de productions. Même l'Homme Sable - qui à l'époque du film de Sam Raimi, en 2007, était un défi technique à modéliser et qui donc aurait pu profiter des nouvelles technologies pour impressionner - est ici une immonde croûte humaine, évoluant en général dans l'obscurité.

C'est le même constat pour les Spider-men. Sam Raimi avait inventé toute une grammaire visuelle pour raconter le personnage. Il faut revoir ses films et ses plans dans New-York, véloces, tout dans la verticalité. Ici, rien. Le personnage est désespérément horizontal, même lorsqu'il se bat, comme dans le Spider-man 3 de Sam Raimi, sur une structure géante. Il y a une démission de la mise en scène assez effarante.

Cela semble d'autant plus incompréhensible que le film a tout de même coûté 200 millions de dollars (estimation sur IMDB). Je pars de l'hypothèse que les gens à la tête des studios concernés se rendent bien compte de la laideur de leur film, mais qu'elle n'est pas un problème pour eux.

Ils sont à la tête d'une formule qui a tellement fait ses preuves qu'elle n'est plus dépendante du look intrinsèque des films. S'ils ont dû s'en rendre compte au fur et à mesure (le premier Avenger, par exemple, était plutôt agréable visuellement, ce qui n'est plus le cas dès le 2ème épisode et surtout Civil War, qui entérine définitivement cette photo grisâtre, cette absence de mise en scène et une mise en place de l'action dans des décors quelconques et vides), aujourd'hui ils ne font plus semblant, c'est le look officiel. Ça permet sûrement plusieurs choses : pouvoir sortir un grand nombre de films en un temps records, conserver une cohérence visuelle entre tous les films du " MCU ", permettre les reshoots au fur et à mesure des réactions des fans et des nouveaux accords constitués et mettre beaucoup d'argent dans le marketing et pour s'acheter des grands noms.

Au niveau du plaisir du spectateur, ils misent maintenant sur une familiarité, une connivence avec tout un public qui se satisfait de la rencontre avec les personnages qu'il aime et des clins d'oeil qui lui sont adressés.

Ce Spider-man est d'ailleurs construit comme ça, le parcours de Peter Parker est celui d'une visite aux vieilles gloires du passé, celles auxquelles les fans sont attachés depuis longtemps et d'autres qui ne sont là que pour la complémentarité - en tant que marque - avec le Spiderman qui leur est attaché.

Spider-man No Way Home, le film somme du parfait petit pubard d’Hollywood.
Glorieux, à l'époque. Aujourd'hui, c'est plus compliqué...

Le retour de Tobey Maguire en est une démonstration. L'acteur est figé dans ce qui apparaît comme l'expression caractéristique de son Peter Parker (ce sourire juvénile, un peu candide, vaguement ahuri) et dans des dialogues qui ne sont là que pour le renvoi aux épisodes précédents qui le concernent. Il n'a absolument rien à jouer, il n'est le fruit que d'un désir morbide, celui d'un enfant qui voudrait ressusciter un être aimé au lieu de feuilleter l'album photo familial.

En 2018 Steven Spielberg tirait la sonnette d'alarme, non pas en interview comme son ami Martin Scorsese mais dans un film qui est l'adaptation d'un roman, Ready Player One. Seulement, une partie du public qui se presse aujourd'hui massivement pour aller voir Spider-man No Way Home lui reprochait à l'époque de ne jouer que sur la nostalgie et le " fan service " (cocasse), ce qui est en fait tout ce qu'il dénonce dans son film.

Spider-man No Way Home, le film somme du parfait petit pubard d’Hollywood.
Un avertissement, le poing levé.

Dans Ready Player One, un groupe de jeunes joueurs de jeux vidéo en réalité virtuelle devait se battre pour prendre le contrôle de l'entreprise propriétaire de cet univers virtuel qui rassemble tous les avatars de la pop culture (fondée par un prototype de geek alter-ego de Spielberg croisé avec Steve Jobs) face à une multinationale prédatrice qui y a vu l'occasion d'en tirer d'importants revenus publicitaires.

Le fondateur, pour sa succession, les fait s'affronter sur son propre terrain, où l'on ne peut résoudre les épreuves qu'en ayant une parfaite connaissance des oeuvres ou jeux vidéo cités. C'est le combat de la passion contre la prédation capitaliste.

À la fin du film, on n'en sortait que dans une bataille en forme d'immense maelstrom qui devait cramer un par un tous ces avatars régurgités dans notre société en autant de jeux vidéo/films/Funko Pops ou que sais-je. Cela se terminait par une invitation à la déconnexion, à ré-apprendre à voir le monde, qui a été (et est toujours) conspuée par des hordes de spectateurs qui avaient l'impression que Spielberg débitait un discours de vieux réac hostile au jeu vidéo. Ce qui est un non-sens, si l'on connait Spielberg un minimum.

Si l'on garde en tête la métaphore avec l'industrie du spectacle, la fin de Ready Player One invite plutôt à se détacher de tous ces vieux fétiches qui nous poursuivent depuis le berceau, d'arrêter de céder aux sirènes de la nostalgie envoyées par Hollywood pour nous piéger dans sa toile et voler notre temps de cerveau, et apprendre à regarder le monde, pas forcément littéralement (mais c'est pas un mal non plus) mais au moins par l'intermédiaire d'autres oeuvres, qu'elles soient cinématographiques ou vidéo-ludiques.

Le public n'a pas voulu recevoir le message, et aujourd'hui cette formule nostalgique est tellement puissante que presque rien ne peut exister à côté. L'exemple, aux États-Unis, des films Nightmare Alley de Guillermo Del Toro ou encore Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, déprogrammés de certaines salles pour faire de la place à Spider-man, est inquiétant. Le système est pris au piège par ces films là.

Il est difficile de prédire ce qu'il adviendra du cinéma hollywoodien dans les prochaines années. On ne peut qu'espérer qu'une partie du public se lassera de ne représenter qu'une portion de temps de cerveau disponible à investir pour remplir les poches d'actionnaires bien gras sur le dos de leurs personnages fétiches d'enfance. Tout n'est que cycle à Hollywood, qui au cours de son histoire s'est souvent régénéré par la force des choses.

Disons que le cycle dure un peu trop longtemps, et que ce Spider-man No Way Home représente - à nouveau - le stade terminal d'une maladie qui se propage depuis longtemps dans les salles de cinéma. Jusqu'au vaccin ?


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