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(Anthologie permanente) Laurent Margantin, Erres

Par Florence Trocmé


Laurent Margantin  erresPoezibao propose d’ouvrir l’année avec le voyage et les paysages. Avec donc les poèmes de Erres, le nouveau livre de Laurent Margantin, poèmes de différentes époques en lien avec toutes sortes de lieux, ceux de l’enfance (Morvan, Vosges, Oise) et ceux de la jeunesse et des grands voyages (Mexique, Laponie, Iles Lofoten).
ERRE. Nom féminin. XIIème siècle. Voyage, route – errer, iterare
1) Manière d’avancer, de marcher. « Ils détalaient grand’erre »
2.) Vitesse acquise d’un bâtiment sur lequel n’agit plus de propulseur : se laisser glisser sur son erre. Lancée.
3) ERRES, nom féminin pluriel. Traces d’un animal. Les erres d’un cerf.
EN SOUVENIR D’ANCIENS VISAGES
                   (Val d’Oise)
C’était un automne pareil à celui-ci
automne de longues marches et de paroles brèves,
soufflées, aussitôt dites, par la bourrasque.
Nous préférions à la propreté grise
de la ville nouvelle la bouillasse des cheminas,
que nous rejoignions au-delà de Pontoise
en suivant la Seine et, plus loin que le confluent, l’Oise.
Depuis les hauteurs d’Herblay,
Paris semblant un champ de ruines moderne.
Il pleuvait souvent, nous entrions dans des cafés
où l’on parlait à voix basse
où quelques-uns se taisaient toute la journée,
occupés à compter les péniches qui passaient.
Et nous apprenions nous-mêmes
à ne plus parler,
à oublier un peu les livres,
et ce qu’il fallait en penser.
Entre deux averses,
nous allions en silence.
A Pontoise, nous montions sur les hauteurs
de la ville, jusqu’au musée municipal,
pour n’y trouver que des tableaux impressionnistes
aussi tristes et gris que le ciel à la fenêtre.
Ce ne pouvait être là la destination.
Plus que tout, nous désirions une échappée.
Qu’est-ce qui nous entraînait vers ce lieu
qui était pour nous comme la pointe déchirée
d’une côte, comme le cap extrême
d’où apercevoir un autre continent ?
Dans les ruelles, en ce mois d’octobre
les ateliers étaient fermées, la clientèle absente.
Nous marchions au hasard dans ce pays désert,
que nous connaissions déjà,
pour l’avoir tant arpenté.
Marche un peu lugubre dans ce village mort,
puis dans les champs de tournesol,
nous éloignant du cimetière.
Gauguin avait foutu le camp,
crachant sur cette Europe exsangue.
Vincent avait préféré s’arrêter ici,
cherchant lui aussi une vision.
Il ne restait de cette recherche,
présents en nous-mêmes,
que les morceaux brisés, broyés d’une mosaïque,
que les multiples signes d’une fulgurante exténuation,
et, ici même, au bout des terres,
une douzaine de corbeaux
qui, partis pour aucun dehors,
peignaient la tempête.
(pp. 65-67)
*
L’intérieur des terres
                   (Vosges)
La route monte dans la lumière,
la lumière se perd dans la brume
plus haut, sur un autre versant,
la roche griffe les épaisses sapinières
sur le bord de la route la pierre noire ruisselle,
ouvre une arche béante sur le ciel et le peu de clarté :
un nom, un nom cassant
pour ce sommet sauvage et gris
Hohnek
nom un instant suspendu
au-dessus de tous les noms
(p. 114)
Laurent Margantin, Erres, éditions Tarmac, 2022, 144 p., 14€


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