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Comme résonne la vie

Publié le 05 janvier 2022 par Adtraviata

Pour commencer cette nouvelle année, j’inaugure un nouveau rendez-vous mensuel autour de la poésie avec ma copine Marilyne. Chaque premier mercredi du mois (sauf exceptions tout à fait plausibles), nous vous présenterons de la poésie : un texte, un auteur, un recueil… avec des liens avec d’autres formes artistiques. Ca me fait plaisir qu’on se rejoigne sur ce projet, car s’il y a longtemps que je n’ai plus présenté de poésie ici, j’en lis et j’en achète régulièrement. (Mais je ne vous présenterai pas spécialement des nouveautés…)

Comme résonne la vie

En ce mois de janvier, je vous invite à découvrir la poétesse québécoise Hélène Dorion, née en 1958, à travers ce recueil Comme résonne la vie, dont voici le poème inaugural :

Comme résonne étrangement la vie
que tu vois se lever, au milieu du brouillard
de l’enfant que tu étais, hier encore
à la table où ton père, où ta mère
fouillaient le quotidien, sarclaient
la terre, arrachaient les herbes égarées
parmi les tulipes hautes
qui flottent encore dans le jardin comme
des étoffes, et mesurent les vents à venir.

Alors, comme résonne étrangement la vie
derrière la tempête qui broie ton corps
d’enfant, jette des marées de solitude
sur tes rêves, crois-tu, un mouvement
de lumière gagne sur la brume
peu à peu tu défriches la forêt
du passé, vois le chemin
où naissent et glissent
dans la terre les fragiles espérances.

Tu entends soudain la pulsation du monde
déjà tu touches sa beauté inattendue.
Dans ta bouche fondent les nuages
des ans de lutte et de nuées noires
où tu cherchais le passage
vers l’autre saison

et comme résonne étrangement l’aube
à l’horizon, enfin résonne ta vie.

A travers ses poèmes, Hélène Dorion dit le voyage personnel, l’histoire humaine, souvent marqués de grands vents et d’hivers froids, mais toujours reliés à la nature, une ancre qui permet de ne pas se noyer dans les grands fonds, de comprendre le chemin, de se révéler au bout de la nuit. Plusieurs poèmes sont écrits tantôt en tu, tantôt en je, creusant le mystère de notre présence au monde.

Horizons 2

Tout ce qu’il faut de lumière, tout
ce qu’il faut d’ombre pour tenir au faîte
de soi-même, être libre, crois-tu, être vraie
pour autant que cela veuille toujours dire
quelque chose, aujourd’hui que soufflent
sur tes pas les vents durs
ta main s’agrippe où persiste l’éclaircie.

C’est en haut, tout en haut qu’est ta vie
tu entres par le feu, tu sais
désormais le mensonge, désormais la trahison, l’orage
a secoué le navire, arraché les mâts, le choc
t’a projetée si loin — soudain tu n’entends
ni ne vois d’horizon, ne touches
ni l’amour ni l’oubli de l’amour.

Mais la rive, tu devines une rive au milieu de nulle part
une voix creuse et affouille l’obscurité
le temps bientôt remuera de nouveau
— chaque heure contient ta destinée.

(p. 38)

Quelques textes disent aussi la richesse des mots, des poèmes sur lesquels on peut compter pour creuser la fragilité et s’accrocher aux branches solides ou aux frêles bourgeons.

Les mots dans la bouche
d’un livre qui les abrite et les confie
à l’or et au plomb, tu ouvres
la porte du jardin d’encre
et de papier, jardin de roses et de soie.

Une phrase recompose l’espace
en détache le passé incertain
comme une empreinte rejoint ce qu’il efface
il est temps de rendre les mots
à ce qui les tient à l’abri

comme un nid fragile
au bout de la branche, de les recueillir
qu’ils épuisent le manque
et couvrent chaque chose
de leur souffle, disent
la matière lumineuse
qu’ils ramènent vers nous.

(p. 52)

Impossible de ne pas sourire et noter l’un des derniers poèmes du lire, p. 63 :

Tu aurais lu tous les livres sur les rayons
les nouveaux comme les anciens, les grands
et petits formats, ceux qui traînent
depuis des mois, entamés
ou pas même ouverts, ceux
d’auteurs complices

Tu aurais lu les plus sombres
les légers, les illisibles et même ceux
qui cassent comme
glaces du fleuve, t’inventent un estuaire
ceux qui bousculent
t’abandonnent au milieu ou te poussent
du haut d’une falaise vers ton dénouement
ceux qui creusent, touchent ton cœur
remuent encore, une fois rangés
sur le rayons, ceux

qui ont mis ta vie sens dessus dessous
et ne se referment pas, tournent encore
autour de toi, ceux qui s’accumulent
sur la table du sommeil
que tu croyais connaître
par cœur, n’entrent pas
dans la poche des heures, courbent
l’échine, ont l’épine à l’envers, restent
sur le dos de la couverture
cachent leur vrai visage, ceux qui
à la fin, te diront que la vie tient aussi
aux histoires qui la racontent,
aux mots qui surgissent par la fenêtre
à ce qu’ils éclairent
dans la forêt de tes pas.

Pour accompagner ce billet, comme il est souvent question d’hiver et d’arbres dans ce recueil, je vous propose de contempler ce tableau de Camille Pissarro, Paysage enneigé à Eragny avec un pommier. Et pourquoi pas, d’écouter L’hiver des Quatre saisons de Vivaldi ?

Paysage enneigé à Eragny avec un pommier

Hélène DORION, Comme résonne la vie, éditions Bruno Doucey, 2018

Marilyne vous présente Petit éloge de la poésie de Jean-Pierre Siméon.

Défi Un hiver au chalet – Catégorie Ah ! comme la neige a neigé ! (un recueil de poésie)

Et j’inaugure avec ce titre le Petit Bac 2022 – Verbe 1.


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