La première voix venue du Liban jusqu’à moi a sans doute été celle d’Andrée Chédid :
Pour le jeune homme épris
Des grenades pour parements
Pour la fille égarée
Une langue de mésange
Pour la veuve
L’écorce d’un tremble
La cerise du loriot
Pour ta prunelle mon enfant
Pour le poète
La soif
(extrait de Textes pour la terre aimée, éd. GLM)
Puis il y en eut d’autres, des femmes surtout.
Nadia Tuéni, par exemple, dont Andrée Chédid a préfacé le recueil intitulé La terre arrêtée.
Elle écrit ailleurs :
Femmes de mon pays,
une même lumière durcit vos corps,
une même ombre le repose;
doucement élégiaques en vos métamorphoses.
Une même souffrance gerce vos lèvres,
et vos yeux sont sertis par un unique orfèvre.
Vous,
qui rassurez la montagne,
qui faites croire à l'homme qu'il est homme,
à la cendre qu'elle est fertile,
au paysage qu'il est immuable.
Femmes de mon pays,
vous, qui dans le chaos retrouvez le durable.
Il faut aussi citer Vénus Khoury-Ghata, en particulier Où vont les arbres ? (éd. Mercure de France), un recueil où elle évoque cette terre où les arbres sont nés d’une mère « que les passants étrangers à la ville (…) prenaient pour un jardin », une mère qui « portait son chagrin dans sa paume et soufflait dessus ».
Hyam Yared qui écrit « Partir est la seule destination qui compte. » (Esthétique de la prédation - éd. Mémoire d'encrier)
Et voici Emné Nasereddine. Elle cite un poème de Nadia Tuéni :
Je vous salue,
vous qui êtes,
dans la simplicité d’une racine,
avec la nuit pour chien de garde.
Vos bruits ont la splendeur des mots,
et la fierté des cataclysmes.
Je vous connais,
vous qui êtes,
hospitaliers comme mémoire ;
vous portez le deuil des vivants,
car l’envers du temps, c’est le temps.
Je vous épèle,
vous qui êtes,
aussi unique que le Cantique.
Un grand froid vous habille,
et le ciel à portée de branche.
Je vous défie,
vous qui hurlez sur la montagne
usant les syllabes jusqu’au sang,
Aujourd’hui c’est demain d’hier,
sur vos corps un astre couchant.
Je vous aime,
vous qui partez avec pour bannière le vent.
Je vous aime comme on respire,
vous êtes le premier Poème.
(extrait de Jardinier de ma mémoire)
Emné Nasereddine me semble réunir ces poètes, ces femmes, comme elle réunit sa grand-mère, sa mère dans ce recueil sous l’arbre, le figuier, coupé après la mort de sa mère.
Les femmes de mon pays meurent avant d’écrire
/
Ma mère est née dans le pays de la guerre
la nouvelle des morts était litanie du jour
/
J’écris une lettre
au pays de l’enfance
l’odeur du parent aimé
l’accent du village qu’on ne perd jamais
/
j’avais un jardin avec plusieurs tulipes
un rosier et un lilas communs
j’avais une mère qui faisait lever le ciel
de ses deux mains
des tantes qui se réjouissaient de l’arrivée de l’eau
J’étais alliée au temps et aux secrets de l’argile
pourquoi partir alors que je portais la terre
sous mes ongles ?
(extraits de La danse du figuier - éd. Mémoire d'encrier)