C’est sans doute le premier film de Yasujirō Ozu que je vois, proposé récemment par MK2 Curiosity. Une troupe de Kabuki arrive dans un village de pêcheurs où — nous le découvrons peu à peu — l’acteur principal et chef de troupe, Komajuro Arashi (Ganjiro Nakamura) est déjà venu. Son dernier passage remonte à douze ans. Son fils, désormais jeune adulte, croit qu’il est son oncle. Cet homme est mauvais, mauvais metteur en scène, mauvais père, mauvais amant, et ses qualités ne sont que celles que lui attribuent les femmes et les acteurs qui l’accompagnent. Adoptant un ton de comédie au début, Ozu passe au drame et à la violence. L’échec de la troupe dans ce village est bien celui de cet homme qui semble rater sa vie, en avoir un peu conscience à la fin, trop tard peut-être, et vide les bouteilles de saké. Les images sont particulièrement fortes : le calme apparent de la première image (une bouteille posée au premier plan et un phare à l’arrière-plan), le retour à l’image du même phare à plusieurs reprises, la pluie torrentielle qui sépare Komajuro et Sumiko, sa maîtresse (Machiko Kyō) dans une scène d’engueulade décisive, le poids des bateaux, la chaleur torride de la saison… C’est aussi une critique de la tradition qu’on peut voir dans la scène où l’acteur dit son texte, la salle étant quasiment vide et Ozu choisissant de montrer tout sauf le plateau où déclame l’acteur. La troupe arrive, groupée, par la mer et repart, disloquée, par le train. C’est surtout l’échec du père que montre Ozu, échec d’un homme qui ne sait pas aimer.