Magazine Culture

Discographie sélective : 2001, maturité (non) silencieuse

Publié le 28 décembre 2021 par Storiagiovanna @StoriaGiovanna

Le jour où je suis devenue majeure, il y a 20 ans, donc, était l’un des jours les plus rocambolesques de ma vie : étudiante à Saint-Brieuc, je me réveille à 6h30 quand j’entends le journaliste d’Europe 2 – parce que j’écoutais la matinale de Cauet à l’époque (sic) – balancer d’un ton grave : « Première nouvelle ce matin, un Américain soupçonné de meurtre a été arrêté à Dinan par le FBI… » De quoi se croire dans une dystopie pour peu qu’on soit mal réveillé.e comme je l’étais à l’époque. Après un DST en histoire romaine, je file à Rennes avec ma sœur – en passant récupérer ma cousine justement par Dinan, qui, pour le coup, ressemblait à une place forte – pour assister au concert de Garou, parce que Kamoulox. Oui, fut une époque où j’aimais Garou pour de vrai parce que j’aimais aussi la comédie musicale Notre-Dame de Paris. J’avais une excuse pour cette erreur de jugement : c’était à l’époque où ils n’avaient pas encore casté Hélène Ségara pour faire Esmeralda…

2001 en musique, donc, n’a pas été qu’une année fantasmée par Pierre Bachelet avec sa dystopie post-apocalyptique à base de survivalisme nucléaire et de petits enfants qui se préparent à vivre leurs premiers pas dans l’âge adulte en ânonnant des visions d’horreur dignes de The Thing de John Carpenter.

J’exagère peut-être, mais quand j’entends des gosses chanter On pos’ra nos valises, nos cantines en fer/ sur un bout de banquise, un coin de désert/ et on s’lav’ra les dents avec des refrains/ quand on aura 20 ans en l’an 2001, je pense soit à Mad Max, soit à War Games. Je sais bien qu’en 1986, on était encore dans une période où le péril de la guerre nucléaire était présente dans les esprits – c’est d’autant plus présent que l’Ukraine et l’est de l’Europe ont bien pris conscience du bordel qu’une explosion nucléaire massive pouvait causer –, mais tout de même, on avait l’impression que 2001 dans les années 1970-1980 sonnait comme 2050 aujourd’hui. Et je sens que je vais me lancer dans un long discours sur ce qu’a représenté l’année 2001 dans mon parcours intellectuel. Ca va certainement vous faire chier, mais le fait que j’atteigne la majorité cette année-là a conditionné une partie de ma réflexion actuelle sur le monde, et par conséquent la musique.

J’étais donc en première année d’études d’histoire, j’avais donc des cours d’historiographie et d’épistémologie historique. A l’époque – période anté-11 septembre, ce qui prédominait idéologiquement dans ce que j’ai reçu comme enseignement sur la réflexion historique, c’était évidemment la thèse du chercheur américain Francis Fukuyama qui reprenait la thèse hégelienne de la fin de l’histoire en l’appliquant à l’histoire récente. Faisons simple : Francis Fukuyama a essayé de voir dans le topos des effondrements des dictatures de l’Europe méditerranéenne à la fin des années 1970, puis dans l’effondrement du bloc soviétique qui s’est « concrétisée » avec la chute du mur de Berlin en 1989 une victoire finale de la démocratie libérale et de l’économie de marché. D’autres théories sur la « fin de l’histoire » s’étaient développées dans le même temps, soit pour abonder, soit pour contredire Hegel et/ou Marx. En tout cas, tant chez les apprentis historiens que nous étions que même chez nos professeurs, nous étions conditionnés à se dire que nous avions assisté à une sorte de point final du fonctionnement cyclique de l’histoire. C’est pour cette raison que nous avons tous été bouleversés à ce point par les attentats du 11 septembre. Aujourd’hui, en discutant avec le Mari et avec le Beau-Père, j’ai pris conscience d’avoir assisté à un changement de positionnement d’influence géographique/économique/diplomatique, mais à l’époque, qui aurait pu y penser, à part les diplomates et ceux qui étaient dans le secret des dieux en Orient ?

Ce que je retire de cette année musicale revient à parler des derniers feux d’une certaine forme d’innocence, car c’est bien de ça dont il est question quand on arrive à l’âge de 18 ans. Je retiens donc d’une part des mélodies naïves – coucou Lorie – et d’autre part les années 1990 qui décident d’être un poil plus réflexives sur le monde – coucou Radiohead. Ce mélange entre sens de la fête et de l’insouciance et drames humains et politiques sont deux bornes d’un même cerveau qui ne se mélangent qu’à de très rares occasions – coucou Gorillaz. Allez, c’est parti.

***

1 – St Germain – Tourist (non daté)

En 2001, la French Touch connut un hiatus. En effet, le combo Daft Punk/Cassius/Laurent Garnier avait marqué la fin des années 1990, quand David Guetta, Martin Solveig et Bob Sinclar n’avaient pas encore émergé. Dans cet entre-deux cotonneux a débarqué Ludovic Navarre, qui mixe depuis ses 24 ans en 1993 dans les clubs parisiens sous divers pseudos. Il sort son premier opus sous le pseudo de St-Germain (en référence à Saint-Germain-en-Laye, son lieu de naissance en 1969) en 1995. En 2000, il signe avec le label de jazz Blue Note et se permet de mixer ses sonorités électriques avec différentes palettes du jazz. Cela donne ce troisième album, Tourist, qui lui permet d’acquérir une nouvelle notoriété à l’international et d’acquérir trois Victoires de la musique en 2001 (Découverte jazz, Découverte scène, Album électronique).

Petite anecdote personnelle : ma cousine, qui avait acheté l’album, me l’avait ripé sur un CD-R, et il a pas mal tourné dans nos soirées durant l’été 2001. C’est un album qui m’a également accompagnée durant mes soirées étudiantes en solitaire, comme un disque doudou.

*

2 – Daft Punk – Discovery (mars)

Plus que Saint-Germain, ce qui a permis de combler un éventuel hiatus de la musique électronique française en 2001 est ce deuxième album du duo fondé par Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Cristo. Plus orienté pop et disco que Homework (1997), l’album a dérouté certaines critiques, avant d’obtenir une approbation massive. Si les singles One More Time – Harder, Better, Faster, Stronger – Digital Love – Aerodynamic – Face To Face et Something About Us sont de véritables petites pépites, j’estime que l’album est tellement génial dans son ensemble que ces singles ne sont même pas mes morceaux préférés de l’album. Mais plus que l’aspect sonore du projet, c’est surtout la direction artistique qui a marqué le public. En effet, les clips ont tous été réalisés par Leiji Matsumoto, créateur du shônen Albator. Il en a d’ailleurs profité pour carrément réaliser un film d’animation muet, Interstella 5555 (2003), dont l’album Discovery représente de fait la bande son.

*

3 – Gorillaz – Gorillaz (mars)

Je me rappelle de toute la communication de ce groupe virtuel fondé en 1998 par le musicien Damon Albarn et le graphiste/bédéiste Jamie Hewlett. Personne, à l’époque – Internet était encore balbutiant – ne se doutait de l’identité des membres du groupe derrière ces quatre personnes semblant être dessinées par un mangaka punk. Un premier EP, Tomorrow Comes Today, sort en 2000 et est très bien accueilli par le milieu underground anglais. Des adresses Hotmail ont même été crées pour ajouter un sens du réel aux membres du groupe. Quand l’album est sorti en mars 2001, vu le phénomène qu’a représenté le single Clint Eastwood, ces adresses ont vite été saturées. Il a fallu donc blinder la back story de Stuart « 2D » Pot, chanteur et claviériste, Murdoc Niccals, bassiste, Russell Hobbs, batteur et Noodles, la petite fille guitariste. Etant donné que la voix de Damon Albarn était très reconnaissable sur le single Clint Eastwood, il disait n’être qu’un collaborateur au même titre que le producteur Dan The Automator, le rappeur Del The Funky Homosapien ou Ibrahim Ferrer.  

*

4 – Yann Tiersen – Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (avril)

Moment anecdote : Quand j’ai finalement vu le film au cinéma en décembre 2001, soit huit mois après sa sortie cinéma, je suis restée scotchée dans la salle de cinéma avec un sourire con pendant une dizaine de minutes, jusqu’à ce que ma sœur me tire par la manche en disant Allez, viens, on s’en va. Voir ce film pour la première fois a fait partie de mes rêves éveillés dont j’espère me souvenir à vie, comme le coucher de soleil sur Tetiaroa quand j’avais 7 ans.

Yann Tiersen, issu du conservatoire et de la scène rock de la fin des années 1980 à Rennes, commence à se faire connaître dans les années 1990 avec des albums tirés de ses compositions au théâtre comme La valse des monstres (1995), Rue des Cascades (1996 – dont beaucoup de morceaux ont été repris pour La vie rêvée des anges d’Eric Zonca, 1997) et Le Phare (1998). Pour constituer la bande originale du Fabuleux destin…, il a d’ailleurs pioché dans ces divers albums, ainsi que dans l’album qu’il a sorti en parallèle au mois de juin de la même année, L’absente. Seules les Valses d’Amélie s’avéreront être des compositions inédites.  Surfant sur le succès mondial du film, l’album de cette BO se vendra à 3 millions d’exemplaires, dont 800.000 en France.

*

5 – Destiny’s Child – Survivor (mai)

Vendu à 15 millions d’exemplaires à travers le monde, ce troisième album studio du groupe composé à l’époque de Beyoncé Knowles, Kelly Rowland et Michelle Williams a assis en 3 singles la réputation d’un girls’ band déjà bien ancré à la fin des années 1990. Cet album sort surtout dans un contexte de crise : le girls’band évoluait à quatre membres lors de l’album précédent, The Writing’s On The Wall (1999). Il y avait donc Beyoncé et Kelly, mais aussi LeToya Luckett et LaTravia Robertson. Le problème étant que ces deux dernières voulaient se séparer de Matthew Knowles, père de Beyoncé et manager du groupe, puisqu’elles estimaient être désavantagées sur le plan fiduciaire. Qu’à cela ne tienne : elles furent remplacées par Michelle Williams et Farrah Franklin, qui quitta le groupe quelques mois après l’avoir intégré en 2000. Si The Writing’s On The Wall avait connu son petit succès avec Bills, Bills, Bills et Say My Name, Survivor fut également porté par le choix d’Independant Women, Part I comme bande originale du premier film Drôles de dames par McG (2000). Après ce succès fulgurant, les trois membres restants du groupe en ont profité pour développer leurs carrières solo, avec la notoriété qu’on leur connaît.

*

6 – Muse – Origin Of Symmetry (juin)

*Aparté*

Je lance New Born et le Mari débarque derrière :

Merci qui ? Merci John Leckie ! En fait, Muse, c’est les Stone Roses qui ont réussi !

Merci mon cœur, pour ton avis avisé. Le problème étant que Matthew Bellamy, Christopher Wholestenhome et Dominic Howard ne sont pas trois autistes qui sonnent comme des brêles en live.

Enfin, là où je suis bizarrement d’accord avec le Mari, c’est que je suis en désaccord artistique avec Muse depuis Absolution (2003)… soit le premier album non-produit par John Leckie.

*Fin de l’aparté*

Deuxième album du groupe anglais, produit en partie donc par John Leckie, il intègre Feeling Good, popularisé par Nina Simone en 1965, mais aussi des inspirations de Philip Glass et de Serge Rachmaninov. Une partie des titres composés avaient d’ores et déjà été interprétés en concert durant la tournée suivant l’album Showbiz (1999). Cet album est également l’occasion d’explorations sonores pour le groupe, que ce soit certains sons d’orgues et de claviers pour Matthew Bellamy, des orientations de micros pour les percussions de Dominic Howard ou les différents types de distorsion pour les guitares de Christopher Wholestenhome.

C’est avec cet album que je les ai découverts en juin 2002, à la faveur de soirées de fin d’année universitaire. Il a fait partie des deux albums que j’ai écoutés en boucle alors que ma vie allait se bouleverser. Cet album, je l’ai écouté en boucle, et mon amour pour le groupe n’a eu d’égal que ma déception quand j’ai écouté Absolution.

*

7 – Radiohead – Amnesiac (juin)

Ce cinquième album du groupe britannique forme un diptyque avec Kid A (2000), et nous remercions le groupe d’avoir justement réuni ledit diptyque en sortant KidAmnesia ce 5 novembre 2021. Cela nous a permis avec le Mari de combler ce hiatus que nous avions avec le groupe depuis 1997 (hiatus dont nous avons pris conscience en écoutant OK Computer OKNOTOK lors de son édition en 2017). Nous avions compris à l’époque que la maturité nous manquait pour comprendre certaines œuvres considérées comme grandioses par nos contemporains, et ce fut le cas pour Kid A que je n’ai toujours pas écouté, et donc pour Amnesiac que j’ai écouté pour la première fois de ma vie il y a quelques semaines.

Si Kid A a parfois dérouté les contemporains par sa production électronique aux antipodes de ce que pouvait être OK Computer – d’où mon rejet pendant ces 21 dernières années –, Amnesiac revient à des productions plus inspirées rock « flottant » (ce qui séduisait dans l’album de 1997), pop et même free jazz, et c’est ce dernier point qui m’a personnellement séduite. L’album n’est pas porté par des singles caravanes, mais emporte l’auditeur dans des ambiances mêlant la mélancolie et la rêverie pure. Oui, comme si Debussy ou Chopin avaient pu vivre au XXIe siècle. Aucune mélodie ne reste à l’oreille, mais ce qui reste, ce sont des sensations sonores, des émotions vivaces, des impressions cotonneuses… Amnesiac, au-delà d’être un album de musique, est une expérience spirituelle qui ne peut que séduire la synesthète que j’assume d’être désormais.

Je viens d’évoquer mon émotion au Mari, et lui voit l’album comme le cheminement d’un amnésique qui retrouve peu à peu la mémoire. Pour vous dire à quel point Amnesiac touche au cœur de celui qui veut tenter l’expérience.

*

8 – System Of A Down – Toxicity (septembre)

Au même titre que Killing In The Name Of de RATM, Chop Suey! de SOAD a fait partie des hymnes énervés avec lesquels j’ai été élevée, et rien que ce titre est un traineau de Noël pour le deuxième album de ce groupe californien formé par des membres d’origine arménienne. Si la fondation du groupe remonte en 1994, où Serj Tankian (chanteur) et Daron Malokian (compositeur et guitariste) fondent le groupe Soil, System Of A Down sort un premier album éponyme en 1998 qui connait son petit succès. Toxicity mêle le rock progressif à la folk et aux instruments traditionnels arméniens, tandis que les thématiques vont du génocide arménien aux violences policières, en passant par l’écologie, la pédophilie ou les abus de substances diverses.

C’est également un album qui a pas mal tourné dans mes soirées de l’été 2002, j’ai donc tendance lui aussi à ne pas associer son écoute à des moments positifs de ma vie.

*

9 – Noir Désir – Des visages des figures (septembre)

Sixième album du groupe bordelais, cet opus sort le 11 septembre 2001 et a eu le même impact sur ma vie personnelle qu’un certain événement s’étant déroulé à New-York. En rompant avec la hargne et la rage qui avaient animé leurs albums depuis 1987, mais aussi avec ses habitudes d’enregistrement – au lieu d’enregistrer dans un même studio, les membres décident de se retrouver sur des sessions courtes entre Paris et Marrakech –, le groupe a décidé de prendre une autre direction artistique. Exit donc les guitares rageuses, il s’agit de plonger dans une langueur ou dans une fausse légèreté, à l’image de Le vent nous portera produit par Manu Chao ou A l’envers, à l’endroit utilisé aux Victoires de la Musique en 2002 pour fustiger les actions du PDG d’Universal, Jean-Marie Messier. Le fait que l’album sorte le 11 septembre 2001 a malheureusement entraîné une forme de censure, à l’image du titre Le grand incendie, bizarrement en adéquation avec l’actualité. Ce disque, vendu à un million d’exemplaires, est également le dernier du groupe, marqué par le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat en août 2003.

*

10 – Laurent Voulzy – Avril (décembre)

Ce quatrième album intervient quasiment dix ans après le troisième, Caché derrière (1992). Cela ne veut pas dire qu’il a chômé : en effet, il a participé durant ce temps à l’écriture de deux albums de son comparse Alain Souchon (C’est déjà ça, 1993 et Au ras des pâquerettes, 1999). Il renoue avec le succès en proposant des titres comme Mary Quant, Une héroïne, La fille d’avril et Amélie Colbert. On dirait que le temps n’est pas passé depuis 1992 et son dernier album, preuve que le chanteur avait trouvé un style bien à lui et qu’il stick to the plan. En bonne fan du chanteur, je me suis jetée sur le disque dès sa sortie à l’époque et je l’ai beaucoup écouté pour m’évader du marasme qui commençait à m’envahir.

***

A bientôt pour de nouvelles aventures musicales.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Storiagiovanna 886 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines