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Ethique de l'extase

Publié le 13 janvier 2022 par Anargala
Ethique de l'extase
 

Comment vivre ? "Je consomme donc je suis" chante le troupeau.

Le Tantra nous transmet une éthique : brahmachârya.

Dans la spiritualité ordinaire de l'Inde, ce mot désigne une vie chaste consacrée à l'étude. En effet, selon une croyance très répandue, on croit que l'énergie sexuelle est la base de l'énergie intellectuelle et spirituelle. 

Mais dans le Tantra, ce mot a un sens différent. Brahmachârya, c'est "vivre selon le brahman". Brahman est un mot très ancien, nimbé de mystère et qui désigne justement mystère, l'énigme d'être. "Je suis" : étonnement, extase, joie, amour, le tout à l'infini. Brahman, c'est l'expansion d'extase de vivre, dans le plaisir ou la douleur car, selon le Tantra, il y a du plaisir même dans la douleur, la peine. Et ce plaisir est donc expansion, brahman. Expansion sans fin.

Vivre en conscience de l'extase intime qui nous habite. Selon la tradition, c'est ainsi que l'on renaît, que l'on devient une brahminî ou un brahmane, une incarnation de ce qui est à jamais à la racine et dans l'au-delà de toute incarnation.

Vivre ainsi, c'est célébrer les "trois brahman", les trois extases, les trois mystères : viande, vin et union.

Bien entendu, il faut entendre tout cela avec intelligence. La viande, c'est, au sens ancien, ce qui fait vivre (vivando). C'est la nourriture qui remplit, qui comble, qui nous entraîne en cette satiété qui est extase d'être. C'est aussi l'air, le prâna. Mais pas que. C'est aussi la transmutation de la matière en conscience par cet autre mystère appelé "digestion". Le feu des entrailles préfigure le feu de la présence et participe au feu du désir.

Le vin, ce sont les liquides fermentés. Selon le Tantra, dégustés en conscience et, surtout, en confiance, ils ouvrent la conscience et renforcent la confiance. Ils désinhibent. A condition de savoir, à condition d'être initié, déjà "entré" sur la voie. A condition de savoir ce qui distingue un glouton d'un gourmet.

L'union, c'est le mystère premier. Viande et vin rapprochent de l'extase. L'union est plutôt l'effet de l'extase, de la conscience, car ce que l'on vénère traditionnellement, ce sont plutôt les sécrétions sexuelles, identifiées au pouvoir fécond, au mystère de la procréation, éminemment présent chez la femme, dit le Tantra shâkta, orienté vers la Shakti.

L'union, c'est aussi l'union des sens avec leur objets. C'est l'expérience, toute expérience. C'est apprendre à vivre l'extase en toute perception. Et aussi, dans la mémoire qui s'unit au souvenir, dans l'intuition qui unit aux noms qui conviennent, aux noms des êtres et des choses. Tout est union. Et toutes ces unions convergent dans l'union infinie du corps et de l'espace. Et cette union elle-même culmine dans l'union du cœur et du mystère, du désir et du divin.

Vivre ainsi, c'est donc vivre en union avec la vibration du cœur, "je suis", le mystère évident à la racine de tous les autres. Le centre de moi est un océan de joie infinie, indéfinissable, inexprimable, au-delà de toute mesure, qui change à jamais la vie de tous ceux qui s'y baignent, ne serait-ce que du bout d'un orteil, le temps d'un instant hors du temps.

Voilà l'éthique de l'extase. Je mange, je bois, je marche, je dors, je suis assis. En tout cela, faire honneur à cela qui est Tout en tout, à l'unique nécessaire qui se révèle à sa guise, instant après instant. "Je suis je". Ramana conseillait d'adopter "je" comme Mantra. Cela suffit. Vivre ainsi, continuer ainsi. En cela. En confiance plus encore qu'en conscience. Se laisse faire, dissoudre, épandre et dilater comme un rond dans l'eau.

Il y a une éthique de l'extase. Claire, lucide, en plein dans l'axe, résolue, confiante, abandonnée dans l'éblouissant mystère. Telle est notre vocation. Il appartient à chacune, à chacun d'y répondre. 


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