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LPP : quand le deuxième pilier s’effondre en premier

Publié le 16 janvier 2022 par Chroom

LPP

La LPP, c'est le système suisse de prévoyance professionnelle qui a pour vocation de maintenir de façon appropriée le niveau de vie antérieur à la retraite. Pour ceux qui ne travailleraient pas en Suisse, ou ceux qui ne connaîtraient pas bien le système de retraites qui prévaut dans ce pays, voici brièvement quelques explications.

AVS

L'Assurance Vieillesse et Survivants (AVS - communément appelé 1er pilier) assure le minimum vital. C'est le moins qu'on puisse dire, puisque la rente est située actuellement entre 1'200 et 2'400 francs mois pour une personne. Le principe du premier pilier, c'est la solidarité : les actifs (et leurs employeurs) paient les rentes des retraités. Il est en vigueur depuis 1948.

LPP

Avec des montants pareils, on ne va évidemment pas très loin. Chez certains employeurs, déjà bien avant 1948, les salariés étaient assurés auprès de caisses de retraite. Pour ceux-ci, l'AVS est venue compléter leurs rentes préexistantes, leur assurant de relatives bonnes conditions en tant que retraités. L'idée a alors germé de généraliser cette pratique, en la rendant obligatoire pour une large frange de la population active. La Loi sur la Prévoyance Professionnelle (LPP - communément appelé aussi 2e pilier), a ainsi été élaborée afin de combler les lacunes du 1er pilier

Ce n'est toutefois qu'en 1985 que le deuxième pilier a été mis en œuvre pour une large partie des salariés. Si le 1er pilier est basé sur la solidarité, la LPP repose sur une épargne obligatoire individuelle : les actifs (et leurs employeurs) aliment un fond qui viendra payer les retraites une fois l'âge officiel atteint.

Un modèle en difficulté

Les deux piliers de prévoyance ont accompagné la montée en puissance des boomers. Cependant, depuis que ces derniers ont commencé à partir à la retraite, le système est sous tension. Le nombre d'actifs par retraité baisse, tandis que la durée de vie s'allonge. On comprend évidemment que le 1er pilier, avec son principe de solidarité, est fortement impacté par cette nouvelle donne. Ce qui interroge en revanche, c'est l'impact sur le 2e pilier, supposé reposer sur l'épargne individuelle.

L'épargne individuelle est collectivisée

Le problème, c'est que, si effectivement nous épargnons (obligatoirement) à la LPP de manière individuelle, notre argent est placé de manière collective. Le législateur a prévu un susucre pour compenser ce désagrément, via le 3e pilier, qui est libre et totalement individuel (tant au niveau de l'épargne que des placements). N'empêche qu'avec le 2e pilier, une très grosse partie de notre épargne vieillesse est prélevée de force sur notre salaire et investie collectivement, selon des critères qui ne correspondent pas à notre âge, situation et propension au risque.

Une stratégie d'investissement inadaptée aux actifs

L’Ordonnance 2 sur la prévoyance professionnelle (OPP2, art. 55) limite la part des placements en actions à maximum 50%. Or, selon les conclusions des "Déterminants de la richesse", pour autant qu’on ne soit pas déjà retraité d’un point de vue officiel, l’allocation idéale en actions se situe à environ 75% d’actions. Ce ratio permet d'assurer la meilleure performance possible des placements sur le long terme en regard des risques encourus. Ceci signifie que la LPP, en plafonnant les actions à seulement 50%, prétérite de facto les rentes futures des actifs.

Des résultats largement en dessous des attentes

Toutefois, même avec ce ratio fixé sensiblement trop bas, nos caisses de pension devraient malgré tout parvenir à des résultats décents. En 2019, je m'étais amusé à composer un portefeuille virtuel correspondant aux règles LPP :

- Actions suisses : 50%
- Immobilier suisse : 30%
- Bons du trésor US (20+ ans) : 10%
- Or : 5%
- Cash CHF : 5%

Ce portefeuille offrait un rendement (hors plus-value) de 2.12%, soit plus du double du taux minimal LPP (taux plancher auquel doit être rémunéré vos avoirs de vieillesse), malgré les taux d'intérêts négatifs !

La performance des marchés : une excuse valable au début de ce siècle

Les caisses de retraite ont souvent mis en avant, en plus de la faiblesse des taux d'intérêts, la mauvaise performance des marchés financiers pour excuser leurs résultats catastrophiques. Il est vrai que durant la décennie 2000-2010, celle-ci a été assez mauvaise, avec deux gros marchés baissiers. Durant cette période, le Swiss Performance Index (SPI), qui retrace le cours des actions suisses, versement des dividendes compris, a affiché une modeste progression de 15.3%, soit 1.4% par an. En toute logique, le taux minimal LPP, durant la même période est passé de 4% à 2%.

La bourse flambe mais notre capital de prévoyance ne suit pas

Pourtant, depuis 2009, les actions battent records sur records, ce qui n’a pas empêché les taux LPP de continuer leur dégringolade, jusqu'à 1% actuellement. Mon portefeuille LPP virtuel de 2019, avait généré une performance annuelle totale de 6.75% (revenus et plus-value) sur les dix dernières années, ce qui est proche des tendances à long terme qu'on est susceptible d'obtenir avec un portefeuille de ce type. Avec un taux minimal fixé à 1% on n'est donc très loin des résultats attendus.

Paradoxalement, l'Association Suisse d'Assurance, souhaitait encore réduire ce taux misérable, estimant que celui-ci est excessif depuis des années ! L’article 5 de l’ordonnance précise : « L’institution de prévoyance doit tendre à un rendement correspondant aux revenus réalisables sur le marché de l’argent, des capitaux et des immeubles ». De toute évidence on est en dehors des clous...

Historique du taux minimal LPP

Prenons un peu de temps pour analyser l'évolution du taux minimal LPP depuis 1998, et comparons-le au résultat du Swiss Performance Index (SPI).  J'ai ajouté aussi une colonne avec le taux de conversion que j'aborderai un peu plus bas.

Année Taux minimal LPP SPI Taux conversion LPP Rente mensuelle avec capital de CHF 500'000

1998 4.00% 15.37% 7.20% 3'000

1999 4.00% 10.67% 7.20% 3'000

2000 4.00% 11.91% 7.20% 3'000

2001 4.00% -22.03% 7.20% 3'000

2002 4.00% -26.78% 7.20% 3'000

2003 3.25% 21.13% 7.20% 3'000

2004 2.25% 6.86% 7.20% 3'000

2005 2.50% 34.42% 7.15% 2'979

2006 2.50% 20.67% 7.10% 2'958

2007 2.50% -0.05% 7.10% 2'958

2008 2.75% -34.81% 7.05% 2'938

2009 2.00% 24.23% 7.05% 2'938

2010 2.00% 4.76% 7.00% 2'917

2011 2.00% -9.12% 6.95% 2'896

2012 1.50% 17.72% 6.85% 2'854

2013 1.50% 24.80% 6.85% 2'854

2014 1.75% 13.59% 6.80% 2'833

2015 1.75% 3.35% 6.80% 2'833

2016 1.25% -1.41% 6.80% 2'833

2017 1.00% 19.92% 6.80% 2'833

2018 1.00% -8.57% 6.80% 2'833

2019 1.00% 30.59% 6.80% 2'833

2020 1.00% 3.82% 6.80% 2'833

2021 1.00% 23.38% 6.80% 2'833

Cumul 71.19% 311.62%

Le marché des actions paie quatre fois plus

Comme déjà évoqué, la période 2000-2010 était particulièrement défavorable aux actions. Malgré ceci, on constate que la performance du SPI est plus que quatre fois supérieure à celle du taux minimal LPP. Autre point intéressant, sur 24 ans, le SPI a fait moins bien que le taux minimal LPP a seulement sept reprises. Les autres années il a nettement surclassé le taux minimal, avec quelques extrêmes comme en 2005, pratiquement 32 points de plus !

Le taux LPP baisse pour ne presque jamais remonter

On remarque également une lente et régulière descente aux enfers pour le taux minimal. Pourtant, sur le long terme, on ne constate pas du tout cette baisse avec le SPI. Même s'il a connu des chutes, il s'est toujours très vite relevé. Le taux minimal fait preuve d'une inertie presque inquiétante. Il réagit avec plusieurs années de retard par rapport au marché, allant même à contre-courant de ce dernier. Pire, il a une très fâcheuse tendance à baisser lorsque le marché s'affaiblit et à ne pas remonter lorsque le marché se reprend.

Le taux de conversion

Voyons maintenant ce qu'il en est du taux de conversion, qui figure également dans le tableau ci-dessus. Celui-ci nous indique de quelle manière le capital accumulé sera converti en rente annuelle. Si vous avez un capital à la retraite de CHF 500'000 et que le taux de conversion est de 7%, alors vous toucherez une rente annuelle de CHF 35'000.

Des rentes trop généreuses en fonction de l'espérance de vie

Ce qui frappe tout d'abord c'est le caractère relativement généreux du taux de conversion actuel, avec actuellement 6.8%. Selon les conclusions de l'étude Trinity, avec plus de 21 ans d'espérance de vie depuis la retraite, ce taux devrait plutôt être de l'ordre de 4.8%.

Un impact à peine décelable sur le taux de conversion

Les rentes des retraités actuels sont donc trop importantes par rapport aux moyens du système. Tout comme le taux minimal, on remarque une baisse lente et régulière du taux de conversion sur le long terme. Néanmoins, cette baisse est nettement moins marquée, à coups de 0.05%. Baisser le taux de conversion revient à diminuer les rentes des retraités, ce qui est très impopulaire. On le fait donc insidieusement, par paliers minuscules, mais cela n'est pas suffisant. En effet, l'espérance de vie continue à progresser sur le long terme, malgré la récente petite baisse due au virus de Wuhan.  On a gagné ainsi sept ans de retraite depuis les années '80.

Les vases communicants

Comme il n’est politiquement pas acceptable d’abaisser les rentes de manière significative, le seul moyen c’est de les financer via les capitaux des actifs actuels, en prétéritant du même coup leurs futures retraites. Le taux d’intérêt versé par les caisses est ainsi de près de six points par an inférieur à ce qu’elles gagnent sur les marchés, comme nous l'avons vu ci-dessus.

Quand on s'en rend compte, il est souvent déjà trop tard

Peu de salariés se soucient du taux minimal qui figure sur leurs certificats de prévoyance, sauf peut-être ceux qui s'approchent de l'âge de la retraite. C'est seulement quand on arrive à l'âge de 60 ans qu'on commence à se rendre compte réellement de tout ce qu'on a cotisé durant sa vie, du capital total accumulé avec les intérêts et de ce que ça va signifier au niveau de ses futures rentes.

Ceci explique pourquoi le taux d'intérêt minimal a littéralement fondu dans un temps relativement bref, presque dans l'indifférence générale, alors que le taux de conversion n'a presque pas bougé. Ceci est de très mauvais augure pour tous les salariés actuels, qui subventionnent des rentes bien trop généreuses en regard des moyens du système. Ils risquent d'avoir de mauvaises surprises dans quelques années s'ils n'ont pas assuré leurs propres arrières.

La solidarité va dans les deux sens

La solidarité entre générations est importante. Le premier pilier a été conçu justement dans ce sens. La population active finance les rentes des retraités. Ce principe est louable et peu contesté. Toutefois, la solidarité va dans les deux directions. Aujourd'hui, un retraité peut espérer vivre encore une vingtaine d'années, c'est énorme. Les cotisations versées au cours de sa vie, comme nous l'avons vu ci-dessus, sont insuffisantes pour assurer le niveau des rentes versées aujourd'hui durant une aussi longue période.

La LPP a perdu sa vocation originelle

Le principe d'épargne individuelle prévu dans la LPP est trompeur. Oui l'épargne est individuelle, mais l'argent est placé de manière collective. Pour assurer le versement des rentes actuelles importantes, les caisses de retraite ne peuvent plus investir suffisamment dans les actions, jugées trop volatiles. Or, ce sont uniquement ces dernières qui permettraient de financer les retraites des générations suivantes. De facto, le deuxième pilier est devenu un premier pilier amélioré, mais a perdu sa vocation originelle.

On comprend bien évidemment les retraités actuels, qui ne veulent pas perdre leurs acquis. Qu'on soit salarié ou rentier, il n'est jamais agréable de subir une perte de revenus. Toutefois, il n'est pas juste d'utiliser les rendements générés à partir de l'argent cotisé par les actifs pour subventionner les lacunes de financement des retraites actuelles. Le prix à payer pour les plus jeunes générations sera colossal.

Désolé, il n'y a plus de sous pour votre retraite

Ce thème a été abordé récemment dans l'émission "Temps présent" de notre télévision d'Etat. Je vous en livre quelques florilèges :

  • La caisse de pension des CFF a aujourd'hui 25'000 rentiers pour 30'000 salariés actifs. Il faut sortir 63 millions de frs par mois pour les rentes, pas question de prendre des risques avec la fortune de la caisse. Problème : les placements sûrs ne rapportent plus rien. Le rendement qui contribuait au 2e pilier ne joue plus son rôle.
  • Le directeur de la caisse de pension des CFF :  "Nous sommes de la mauvaise génération. Ce n'est vraiment pas de chance. Nous devons être prudents, nous ne pouvons pas détenir 70% d'actions, car en cas de crash, là, nous aurions un problème pour verser les rentes. Le fait d'avoir beaucoup de rentiers nous pousse à une stratégie de placement plus défensive. De nombreuses caisses sont dans cette situation. C'est lié à la démographie et le nombre de retraités ne va pas en diminuant."
  • La maman de Virginie à propos de l'initiative "Générations", visant à pérenniser et rendre équitables les rentes : "Je suis d'accord qu'il faut faire quelque chose, mais s'attaquer aux retraités existants et à leurs rentes... Je ne suis pas d'accord. Faut trouver autre chose."
  • Roland Grunder, coprésident du Conseil suisse des aînés a intégré le comité d'initiative dite "pour une 13e rente AVS" (!), classée à gauche. Lui se dit radical, mais qu'importe, il est concerné : "Aujourd'hui les gens de ma génération n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Baisser les rentes, c'est changer le contrat. Toucher à nos rentes aujourd'hui, ça signifie diminuer du jour au lendemain ce que les seniors ont dans leur porte-monnaie. Et on dit à la jeune génération : demain, vous avez moins de salaire, il y a peut-être plein de solutions. Je dis n'importe quoi, mais travailler plus, travailler autrement, trouver un job qui paie mieux. Les seniors ne peuvent pas faire ça".
  • Nathalie : "J'ai au-dessus de moi deux générations qui ne travaillent plus, en dessous de moi des enfants qui ne travaillent pas encore. On est la seule génération active sur quatre. Le système de l'AVS a été mis en place quand l'espérance de vie était de 65 ans. Mes grands-parents en ont 95. Ça fait presque mon âge qu'ils sont à la retraite. Ça fait 30 ans qu'ils touchent une rente de retraite. Mes parents touchent plus d'argent que Florian et moi réunis. Dans 30 ans ce ne sera pas comme maintenant. Il y aura des changements qui font que ce qu'on cotise maintenant au 2e pilier, je ne crois pas que je vais le voir à 65 ans.

Des préoccupations légitimes de part et d'autre

On le voit, la situation est complexe, avec des lignes de front qui semblent peu susceptibles d'évoluer. D'une part nous avons les jeunes générations qui se font du souci quant à leurs futures retraites et de l'autre les rentiers actuels, qui veulent préserver leurs acquis. Chacune de ces préoccupations est légitime.

Des solutions individuelles pour les actifs et futurs retraités

Comme il est peu probable qu'une baisse des rentes n'obtienne une majorité politique (les 66-75 ans affichent des taux de participation aux votations près de deux fois plus importants que les jeunes), les actifs actuels n'ont d'autre choix que de trouver des solutions individuelles. Le reportage de Temps Présent évoque quelques pistes, comme multiplier les revenus via des activités diverses, apprendre à vivre avec moins ou épargner dans un 3e pilier.

Ces pistes font toutes sens. J'en ajouterais néanmoins deux autres qui me semblent primordiales. Tout d'abord investir dès son plus jeune âge dans des actions. Selon J. Siegel, ces dernières sont celles qui offrent la plus grande rentabilité sur le long terme. Ensuite, comme je l'avais déjà évoqué dans le passé : avoir recours à l’OEPL (ordonnance sur l’encouragement à la propriété du logement au moyen de la prévoyance professionnelle).

Grâce à ce subterfuge, nous pouvons retirer partiellement ou totalement notre avoir LPP afin d'obtenir des fonds propres pour notre logement, rembourser un prêt hypothécaire ou même financer des travaux de rénovation ou de plus-value. Notre argent est généralement bien mieux investi dans la pierre que dans notre caisse de pensions, vu la faiblesse du taux minimal LPP. Autant sauver ce qui peut encore l'être...

L’article LPP : quand le deuxième pilier s’effondre en premier est apparu en premier sur dividendes.ch.


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