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La publicité est un con !

Par Emma Falubert
La publicité est un con non parce que La publicité est partout, tout le temps, mais parce que tout le temps, la publicité tente d’être partout ! Il n’y a plus un espace, plus un moment, plus un souffle où elle ne tente d’intervenir. Et non seulement elle occupe le terrain mais elle le confisque, le verrouille et finit par faire sa loi, dans des endroits où on ne l’attendait plus parce qu’on en avait pas besoin.
La publicité est un con parce que la publicité pour, tout le temps, parvenir à être partout, se doit de réinventer des stratagèmes usés et à deux balles ( c’est à dire peu gratifiants), pour des « cons sots », c’est comme ça qu’elle nous appelle, résignés.
La publicité est un con parce que la publicité peut faire encore illusion, lorsqu’elle se grime, lorsqu’elle nous épate à coup de performances et de happenings qui enjolivent le quotidien, lorsqu’elle provoque des éclats de rire, prétend réinventer la tendresse à coup de saucisses Herta ou l’impertinence à coup de Vache qui rit ou de cachou Lajaunie.
La publicité est un con parce qu’au fond, toute cette agitation et ces efforts sentent la marche forcée des industriels et des marques vers des marges pour fonds de pensions paniqués et tyranniques.
La publicité est un con parce qu’à force, elle est devenue l’otage de ces vieux messieurs et de ses vieilles dames, sans aucune pudeur, ni aucune retenue. La publicité doit faire vendre immédiatement et sans délai ; elle s‘est parée des atouts et de l’alibi de la communication mais elle ne fait que répéter ce que faisait les réclames d’autrefois.
La publicité est un con parce qu’à force d’être partout, de baliser tous nos espaces de vie et de prétendre baliser nos cervelles, elle ne fait que meubler le paysage. Et ses clichés (au sens propre et au sens figuré,) ses faux rêves conditionnés, ses jeux de mots façon Vermot à la sauce Inrockuptibles, ses mélodies piratées légalement meublent notre environnement, comme sont meublés les gîtes ruraux, avec des accessoires qu’on ne voit plus, comme les vieux restes hérités de la grand-mère ou d’une vieille tante, d’une promo chez Confo ou d’un déstockage de Cuir-center. On s’en accommode, mais au fond on s’en fout et ça ou autre chose... à quoi bon.
La publicité est un con parce qu’elle n’a pas compris que trop trop c’est trop, et que paradoxalement ces excès ne provoquent ni colère salutaire, ni révoltes libératrices ni le moindre soulèvement (on ne se soulève pas contre les meubles de la vieille tante, ni contre les autres rogatons sus cités) mais au contraire, un abandon, un lâcher prise qui tout doucement videra de sa substance, sa raison d’être, et de ce qu’elle pourrait nous offrir et nous enrichir, si elle se connaissait mieux.
La publicité est un con parce que malgré ces premiers signes dont ces quelques lignes tentent de rendre compte, la publicité continue à briller des mille feux embrasés de ses lustres anciens. Elle persiste à s’afficher au premier rang, à prétendre faire office de culture, à intervenir dans le débat politique et livrer son avis sur tout et encore plus. La publicité continue à faire croire, à se faire croire, qu’elle est intelligente, qu’elle sait lire et comprendre la société dans son ensemble. Elle prétend en y croyant d’ailleurs elle-même qu’elle sait. Elle prétend en effet savoir le monde, le comprendre, voire l’anticiper.
En fait la publicité est un con parce qu’elle assimile l’observation et l’analyse qu’elle fait de nos comportements dans la vie quotidienne à une compréhension totale du monde : elle s’instaure en véritable paradigme alors qu’en guise de système, elle n’a accès qu’a quelques règles de bon sens et ne maîtrise que quelques astuces acquises par la pratique.
La publicité est un con parce que la publicité et les publicitaires confondent l’essence, la substance du monde avec son apparence, quelques reflets et des signes extérieurs de ses richesses complexes et secrètes. La publicité résume ce savoir spasmodique et ténu, dans des enflures hâbleuses qu’elle appelle la tendance ou les tendances, voire le trend. La publicité rend compte de ces tendances, à travers ce qu’on appelle le planning stratégique. Ceux qui en ont les clés et le pratiquent, s’appellent des planners. Ce sont les seigneurs de la publicité, car ce sont eux qui savent ! Tout un programme : ces gens planifient (je sais, c’était tentant de prétendre qu’ils planent, mais je ne suis pas un publicitaire) ils planifient la stratégie des marques, pour mieux nous atteindre et nous les faire connaître. En soi, pas de problème, mais en fait les bons planners sont des gens qui interprètent radicalement et malhonnêtement la réalité. Leur rôle consiste à mettre en évidence l’angle, le point de vue inédit qui permettra de mieux choper les conso. Le planner est un peu comme un géographe qui, sur une carte Michelin, ne laisserait que ce qui l’intéresse : à un croyant, il ne laissera que les églises, les calvaires, à un randonneur que les chemins de traverses ou à un passionné de chemin de fer, les passages à niveau et les gares abandonnées. Sous le couvert d’enquêtes, de rapports et d’études, il dégage, (aussi au sens où il déblaie), ce qui obstrue la visibilité. Double objectif : dégager le Visibilité pour le créatif d’une part, qui dans ses « œuvres » doit mettre en forme les messages (avec le fameux saut créatif plus ou moins élégant et efficace), et d’autre part pour nous, les conso pour que nous ayons la visibilité, le bon point de vue, sur les produits.
La publicité est un con parce que ces gens sont des manipulateurs de réel : ils ne voient plus le monde tel qu’il est mais tel qu’ils voudraient qu’il soit. Avec arrogance, ils espèrent un monde où leurs prédictions consuméristes se seraient réalisées. Avec dédain, ils justifient leurs manipulations et leurs outrances au nom de la créativité, de la curiosité et même de la liberté. Liberté de consommer, de créer et d’inventer.
La créativité, justement : La publicité est un con aussi parce qu’elle s’est laissée enfermer dans des systèmes et des systématismes castrateurs. Et qu’elle se placarde sur les routes ou dans nos villes, qu’elle s’immisce dans un blog érotique, qu’elle défile dans ces « clip-conserves » de 30 sec, juste avant le journal du soir, ou dans des salles de cinéma, elle est totalement formatée, calibrée, calculée. Elle n’est plus jamais spontanée, intuitive, ni jolie, ni délicate, elle n’est surprenante que dans le cadre de ce calibrage, elle ne dépasse jamais plus les bornes, elle n’ose jamais plus rien d’interdit, elle est comme les rayonnages des produits qu’elle promeut : droite, régulière, propre, bien rangée, étiquetée et sans saveur.
La publicité est un con parce que justement dans ces cadres étouffants, elle ne peut plus être généreuse, elle n’offre plus rien d’autres que ce qu’elle veut vendre, elle ne rêve plus, elle ne dit plus rien du monde, elle ne dit plus rien à personne. Elle ne fait que rendre compte d’une société rendue mutique dans des fracas silencieux et stériles, virant autiste dans des décorums affectés et sans grâce, et schizophrène dans des capharnaüms lourdingues de carton-pâte.
La publicité est un con parce qu’à force de tous ces artifices, elle contribue à éteindre les énergies de la vraie vie, à détourner les vrais désirs et à saborder les vérités entrevues et possibles.
La publicité est un con sans doute aussi parce qu’elle n’est plus qu’une accumulation, présentation de signes. Elle n’est plus du tout une vraie prise de parole. Elle réactive, agite des signes qu’elle expose, et qui n’interagissent plus. Il n’y a là que de l’accumulation de signes, plus de parole et donc plus de dialogue. La publicité impose les signes qu’elle assimile à des marchandises. Le signe devient pratiquement à la fois une espèce de média tronqué et l’attribut, de la marque et /ou du produit.
La publicité est un con comme un mauvais tableau de Magritte qui ne dit pas plus, ne donne pas plus, que ce qu’elle dit qu’elle dit ou qu’elle donne.
La publicité est un con parce qu’elle n’invente plus rien, elle ne fait que reproduire le formatage des marques. Et qu’elle balise nos paysages mentaux ou réels, nos errances poétiques, nos footings, nos zappings culturels, ludiques, ou amoureux, la publicité ne provoque même plus aucune étincelle dans l’aire où pourrait se produire une poésie de l’urbain, ni dans l’espace où s’agiteraient des « cadavres exquis » et autres télescopages créatifs.
La publicité est un con parce que pour en arriver là, la publicité a usé, use, et usera encore des « choses » qui pourraient, auraient pu être utile à d’autres projets. D’abord la brillante matière grise de beaux gosses (ou de vieux beaux), sans vergogne, au sourire enjôleur, au bagout de camelot, passé par des écoles de commerce, déguisés en sociologue, parfois en philosophe, des fois en futurologue, la plupart du temps en proctologue, (sans le savoir sans doute), juste pour mieux enfoncer… le clou à leurs clients, c’est à dire ces idées lumineuses et créatives qui vont faire vendre les produits. Et rendre riches et célèbres tous ces brillants vendeurs, ces camelots d’un nouvel age.
Ensuite, il y a aussi ces esprits créatifs et qui pour être imaginatifs n’en sont pas pour autant des créateurs. Ils ne créent rien tout en pensant toutefois, être au summum de l’intelligence créative, là où ils sont probablement, mais intelligence créative, n’a rien à voir avec la création et il n’y a qu’eux qui ne le savent pas.
La publicité est un con parce que la publicité avec ses as de la vente et ses champions du saut créatif croit pouvoir tout régenter, tout contrôler et tout comprendre, alors qu’aujourd’hui elle ne fait que se pencher sur la vacuité qu’elle provoque.
La publicité est un con parce qu’en mélangeant tout, elle veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, nous faire avaler des couleuvres. Elle brouille des pistes déjà pas très claires, en refusant la complexité du monde, en prétendant le simplifier. Et à ce titre elle s’ait d’ailleurs auto-délivrée des lettres de noblesse, pour devenir inattaquable, incritiquable, et lorsqu’elle accepte de le faire, elle tourne en rond, juste pour mieux se revendre, et encore plus se montrer.
C’est dommage, si la publicité se prenait moins au sérieux, si elle se décloisonnait, si elle sortait des études et des preuves, si elle redevenait intuitive, réellement créative, si elle provoquait, questionnait, bousculait, si elle tentait la poésie, si elle proposait des dialogues même absurdes, si elle reprenait, proposait une vraie prise de parole d’une parole vraie, si le marketing revenait au bon sens et non plus au traficotage de soi disant désir de conso, si elle oubliait ses soi-disants règles, si ses tenants sortaient de leurs certitudes, de leurs arrogances, des salons, des pinces fesses et des cérémonies d’autocongratulations, elle recommencerait à nous intriguer, à nous amuser, et sans doute à mieux nous faire acheter…
Mais en attendant cet heureux jour, la publicité est un con.
Frédéric Moreau
Le 26/05/07

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