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Optimistes contre pessimistes; ( Anthony Gottlieb )

Par Jmlire

" Le monde va-t-il de mieux en mieux ou de mal en pis ? Les deux, semble-t-il. En janvier 2018, le magazine Times publiait un dossier intitulé "Les optimistes". Rédacteur en chef invité du numéro, Bill Gates constatait que dans l'ensemble, les choses s'amélioraient. Le même mois, le Bulletin of Aromic Scientists rapprochait de trente secondes les aiguilles de son "horloge de l'apocalypse" : la fin du monde était plus proche que jamais. Ladite horloge a été créée à la fin des années 1940 pour mettre en évidence le risque d'un holocauste nucléaire. D'autres menaces y ont été ajoutées depuis : le changement climatique en 2007, le bioterrorisme et l'intelligence artificielle en 2015. La liste n'est sûrement pas close. les aiguilles de l'horloge ont été déplacées vingt-trois fois depuis 1947, le plus souvent en direction du pire. mais ce n'est bien sûr qu'un gadget : la seule chose qu'elle mesure, c'est le degré d'inquiétude éprouvé par un groupe de scientifiques et d'universitaires.

À l'inverse, les optimistes intervenant dans le dossier du Times entendaient fonder leur version plus riante sur une quantification précise, "étayée par des données", écrivait Gates - comme la réduction de moitié, depuis 1990, du nombre d'enfants morts avant leur cinquième anniversaire, la diminution de la proportion de la population mondiale vivant dans l'extrème pauvreté - passée de plus d'un tiers en 1990 à environ un dixième aujourd'hui -, ou encore l'augmentation, au cours du siècle dernier, du nombre de pays où l'homosexualité est un droit reconnu - passé de vingt à plus d'une centaine.

Il se peut aussi que le nombre de livres recensant les avancées positives ait augmenté. Au moins quinze sont parus en anglais depuis la publication, en 2000, de l'ouvrage de l'économiste Julian Simon, mort deux ans plus tôt, au titre éloquent : "Cela va sans cesse de mieux en mieux. les 100 plus fortes tendances des 100 dernières années". Personne n'a encore inauguré une "horloge du paradis", qui marquerait nos progrès mesurables vers l'utopie, mais beaucoup de ces auteurs semblent entendre son tic-tac.

D'autres sont moins enthousiastes, car il n'y a pas de méthode évidente pour mettre en balance les bonnes et les mauvaises nouvelles. Le livre de Simon s'ouvre sur un préface discordante de sa veuve, Rita Simon, que l'optimisme de son mari mettait mal à l'aise. Malgré les 146 graphiques qui regorgent de données encourageantes - allant de l'augmentation de l'espérance de vie à celle du nombre de dents dans la bouche des adultes et d'orchestres dans les villes américaines -, elle rappelait que le siècle dernier avait aussi vu la montée du nazisme, du stalinisme et du maoïsme, et la mort d'au moins 170 millions de personnes du fait de leur propre gouvernement.

Optimistes contre pessimistes; ( Anthony Gottlieb )
Hans_Rosling, 2016.

Même quand les bonnes nouvelles sont légion, l'optimisme peut sembler dénoter un manque de cœur et une certaine naïveté, observe Hans Rosling dans son livre instructif Factfulness : "Parce que vous savez que d'énormes problèmes subsistent [...], vous avez le sentiment que lorsque je dis que le monde s'améliore cela revient à dire que tout va bien." Médecin et professeur de santé publique suédois décédé en 2017, Rosling préférait se qualifier de "possibiliste" : "Quelqu'un qui n'espère pas sans raison, pas plus qu'il ne craint sans raison [...]. En tant que possibiliste, je vois tout le progrès qui a été accompli, et cela me donne la conviction et l'espoir que plus de progrès est possible. Ce n'est pas être optimiste.[...]. C'est avoir une vision du monde constructive et utile."...

Quels sont ceux qui contribuent le plus à rendre les gens plus riches, plus sains, plus heureux... Ceux qui soulignent ce qui va bien ou ceux qui soulignent ce qui va mal ? Rosling note que le progrès en matière de droits de l'homme, d'instruction des femmes, de secours en cas de catastrophe, et dans de nombreux autres domaines, sont souvent dus en grande partie aux militants persuadés que les choses empirent - même s'il pense aussi qu'ils pourraient obtenir encore plus de résultats s'ils étaient davantage disposés à admettre ce qui va mieux. Dans son invitation à l'optimisme, Bill Gates reconnaît que, pour améliorer le monde, "il faut que quelque chose vous rende furieux". Se focaliser sur ce qui va mal n'est pas forcément un dysfonctionnement cognitif. Voltaire n'aurait pas mené ses campagnes contre les abus de pouvoir du clergé, s'il s'était contenté d'observer que, statistiquement parlant, la plupart des prêtres étaient des personnes parfaitement décentes...

Les nouveaux optimistes ne devraient peut-être pas oublier de remercier les vieux pessimistes pour les fruits de leur mécontentement.

Anthony Gottlieb : extraits d'un article pour la revue The New York review of Books du 7 février 2019, repris dans le magazine Books n°113, mai-juin 2021.

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