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(Carte blanche) à Hervé Leroy : De la profondeur après Ecrire le cri… Alain Marc : la poésie ou la vie entière

Par Florence Trocmé

De la profondeur après Ecrire le cri
Alain Marc : la poésie ou la vie entière

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Comment aborder De la profondeur d’Alain Marc ? La forme même de l’ouvrage rend caduque toute tentative de critique, voire de recension. Comment appréhender cet objet non identifié qui tient à la fois d’un journal intime, d’un carnet de route sur les chemins d’une littérature et d’une poésie à l’estomac, d’un balisage pour ne pas sombrer dans la folie, d’un viatique pour atteindre une profondeur, ultime palier de décompression avant cette énergie vitale du cri, cet or du temps que cherche le poète.
Dans l’ouvrage De la profondeur, publié aux éditions Douro, Alain Marc développe quelques séries de Propositions pour un entretien avec… C’est un début de solution. A Abdellatif Laâbi : « Votre poésie est souvent l’expression d’un cri, et je pense régulièrement, lisant vos poèmes, à votre terrible et long séjour dans les prisons de l’ancien roi du Maroc. De quel cri s’agit-il ? »
A Dominique Grandmont : « Ne voyez-vous pas à l’œuvre, dans votre superbe L’air est cette foule, le cri ? »
A Franck Venaille : « Toute votre œuvre, qui est en constante évolution, est sous-entendue par le cri. S’est alors posée pour vous la question de la mise en forme. La forme, le travail sur, ne vient-il pas amoindrir le cri ? »
Plus loin, Alain Marc écrit : « Franck Venaille. Son œuvre a le grand mérite – et le courage –, d’aborder de front une des plus grandes aventures humaines : la souffrance, et ses pulsions, sans pour autant abandonner le travail sur la forme. La rendant unique. »
Soudain, au détour de l’entretien, Alain Marc vous glisse. « Il faut que vous dise. Cela, je peux vous le dire. Dans les années 90, j’étais en dépression. J’étais en souffrance, avec le sentiment que mon écriture ne rencontrait pas le lecteur. J’ai commencé une espèce de journal intime à la manière de Franz Kafka. »
Après Écrire le cri, livre fondateur publié en 2000, De la profondeur est une comète dans cette densité de présence au monde qui est la marque du poète.
L’un des drames de la poésie, aujourd’hui, serait-il son absence de lecteurs ? Alain Marc est un merveilleux lecteur qui participe à la création de l’œuvre de ces poètes d’hier et d’aujourd’hui qui l’accompagnent, lui sont nécessaires, vitaux. On se souvient des propos de Jean-Paul Sartre : « L’objet littéraire est une étrange toupie, qui n’existe qu’en mouvement. Pour la faire surgir, il faut un acte concret qui s’appelle la lecture... »
Mais Alain Marc va plus loin. Avec ses « Lectures pour le tréfonds », ses « Contre-lectures » qui ne sont pas l’essentiel d’un ouvrage qui est avant tout un cri d’amour, son « Journal de l’instant », ses « Visions de l’œuvre », ses chroniques « Autour de l’incandescence », il fait œuvre de poète. Une création à part entière.
Les notes, réflexions, suggestions, questions posées, digressions, sont situées dans le temps et dans l’espace: « Vendredi 31 juillet 1998, marchant dans le centre-ville, regagnant mon véhicule » ; « Lundi 14 décembre 1998, et jours suivants » ; « Dans une salle d’attente, jeudi 12 octobre 2000 » ; « Grand auditorium de la B.n.F., vendredi 23 mars 2001 » ; « Dans la salle d’attente de mon généraliste » ; « Dans la salle d’attente de mon dentiste » ; « Mardi 26 novembre 2002 » ; « Lendemain » ; « Deux jours plus tard »…
L’écriture, c’est du corps qui se joue à tout instant, dans chaque souffle de vie. La littérature et la poésie engagent la vie entière.
Au téléphone, Alain Marc nous glisse encore : « Le cri, c’est quand les mots vous sautent à la figure. J’ai découvert Histoire de l’œil de Georges Bataille dans les rayonnages d’une librairie. Sur place, j’ai lu quelques lignes… Et je suis sorti en courant. Le choc a été si fort que j’ai mis plusieurs années avant d’y revenir. »
La profondeur, elle, serait peut-être d’atteindre « cette beauté du dire au service de l'amour, mais aussi au service de l’innommable, de ce qui ne peut se dire ». Difficile en réalité d’écrire sur De la profondeur, tant l’ouvrage finit par vous imprégner, vous électriser. Une certitude : Alain Marc vous donne envie d’aller voir. Il vous donne furieusement envie de découvrir les quelques poètes qui lui sont précieux et que vous ne connaissez ni d’Eve ni d’Adam. Loin des tiroirs et des étiquettes, il vous invite à retrouver la voix singulière d’Éluard par-delà le surréalisme, ou à découvrir les « poèmes linéaires » de Pierre Garnier par-delà l’aventure de la poésie spatiale.
Et puis, soudain, vous partagez avec lui le même coup de grisou.
A vif, un souvenir, alors, me revient de loin, me taraude : les mots de Joyce Mansour, qui mordent, geignent, dévorent, crient, sont mis sur scène par une poétesse aujourd’hui disparue, Chantal Lammertyn : « La Mort chante », 1995 à Lille.
« Joyce Mansour est à découvrir, d’urgence », écrit Alain Marc, qui confie l’émotion ressentie lors de la découverte de Cris, le premier recueil de la poétesse égyptienne.
Il est tout aussi urgent de lire De la profondeur. A un moment ou à un autre de l’ouvrage, le poète Alain Marc vous touche au plus près. Il touche à ce que le lecteur a en lui de plus précieux, d’irréductible.
Hervé Leroy
Alain Marc, De la profondeur, « lectures, articles ». Editions Douro. 19 euros.


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