James Sacré publie Figures de solitudes, aux éditions Tarabuste
Tu vas dans un livre, assez
Comme on va dans un paysage
Comme on va dans la vie.
Des formes font qu'on perçoit du sens ou pas. Ou
pas : c'est alors penser à ce qu'on ne comprend pas ; mais
qu'on voit.
En traversant de grandes étendues d'armoise puante
(sage brush), ou des prairies sans guère d'herbe dans le
sud-ouest des États-Unis (des chevaux sont là au pied
d'une éolienne) on peut rêver à ce qui varie dans le vert
de ces couleurs vertes, mais on reste
Dans l'ignorance des activités que permettent (ou
imposent) ces espaces de quasi désert végétal.
Au bout du voyage on ne sait plus très bien ce qu'on
a vu. Il y a comme un étonnement du corps, et penser
n'explique rien. Écrire ? on se demande.
On se perd dans le bruit des mots
Dans le silence des choses, des visages.
On referme un livre, on quitte un paysage, ça
ressemble
À quand tu termines un poème. On est seul.
(p. 7)
Souvent la photo qu'on n'a pas prise
Aurait été la plus belle.
On est passé vite et le brusque tournant de la route
Ne permettait pas qu'on s'arrête ;
Plus tard on y pense et des mots viennent :
De hauts murs de brique brûlée
Tenaient les volumes de la bâtisse
Autour de plusieurs cours quasi fermées,
Tout l'ensemble de cette ancienne ferme toscane
Abandonnée à de grandes herbes, à la solitude...
On n'aurait eu sans doute
Sur la photographie
Qu'une approximative couleur,
Des formes forcément réduites
Comme en somme les voilà
Dans ce poème qui voudrait
Se prendre pour une photo.
(p. 11)
Dans le passé qui échappe il y a ces longues histoires
d'affection qui ont duré qui se continuent dans le présent,
des remuements d'aise et de plaisir dans le corps sont venus
sans qu'on les cherche ni qu'on les prévoie. Et même si de
l'inquiétude ou de vaines interrogations les ont accompagnés.
Et encore, dans un présent qu'on ne sait pas davantage construire.
Visages rencontrés comme on rencontre un mouvement
d'herbes dans un paysage ou l'ombre d'un peuplier contre
un mur d'immeuble en ville :
Il y a eu le rire confiant et joueur d'un élève dans une cour d'école,
La clarté d'un regard sur le Ponte Vecchio à Florence
Ou la main sur une épaule pour emmener vers les arbres
d'un parc à Marrakech.
On ne sait pas pourquoi cela s'est continué et persiste
dans un présent qui n'a pas plus de forme saisissable que
tout ce passé qui l'a nourri.
Le désir d'être que manifeste un poème en ruminant ces
choses tout en s'abandonnant à ce qu'il ne peut pas prévoir
Ne fait qu'ajouter à l'énigme que fia la solitude avec les
autres. Demain est un autre nom de cette énigme.
(p. 103)
James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste, 2022, 155 p, 14€