Cher Eric,
Nous nous connaissons depuis longtemps, je ne saurais dater exactement, mais depuis le début des années 90 à peu près, puisque j’ai découvert ta poésie grâce à Valérie Rouzeau qui à l’époque te lisait déjà et m’avait fait découvrir L’Eau, publié au Pont de l’Epée du feu Guy Chambelland en 1985, lequel texte m’éblouit de suite. Il me souvient du prix de La Crypte que tu avais obtenu en 1987 avec Jusqu’au soir, et de Jean Lalaude, qui animait les éditions du même nom, et aussi de C’est à peine s’il pleut, publié en coffret avec trois autres livrets. Ce dernier titre sonnait comme une mélodie d’Erik Satie. Il me souvient de tous ces micro-éditeurs qui t’avaient reçu comme L’Horizon Vertical, Polder, Le Pré de l’Âge, Le Manège du Cochon Seul en de toujours très minces livrets. Puis il y a eu Le Dé Bleu, éditeur auprès duquel t’avait recommandé Valérie, qui publia Le Nom des fleuves, puis Tarabuste, tes livrets s’épaississaient et devenaient livres ; et puis les éditions Flammarion, Faï Fioc et Unes se sont intéressées à toi. La fragilité de ton écriture s’est affirmée, voire as-tu pris un peu de confiance au cœur de tes incertitudes toujours douloureuses, de tes doutes fâcheux, de ta vie toujours incertaine et sur un fil.
Sur le fil, entre vie et mort, c’est toujours de ce point de vue que tu écris. Tes poèmes paraissent toujours être ceux du renoncement furtif, esquissé puis écarté quoique sempiternellement présent. Un être embarrassé s’exprime en eux, embarrassé par le fait de vivre, presque s’en excusant. A force d’écriture, ta fragilité est devenue une force. Cette force (je sais que ce mot t’étonnera), je la perçois dans ces vers d’Aux Aresquiers, livre qui semble clore ton cycle de deuil : « ce que j’écris m’éloigne de plus en plus/ne prend plus soin de moi ce que j’écris//m’abandonne » ; d’ailleurs, à la fin, tu ouvres les fenêtres : « toutes fenêtres alors/rouvertes une à une », le symbole est fort. Une force de détachement tout en même temps une force de conviction, non pas dans le pouvoir des mots, mais dans leur capacité au charme. Ah, mince, voilà un mot honni en poésie, pourtant… Pourtant, le charme renvoie à la poésie latine, au sens noble de « chant poétique, poésie » (Horace en usait), lequel sens se confondit avec « formule magique, incantation », pour désigner maintenant l’attrait ou la fascination qu’exerce une personne ou un objet. Tes poèmes ont la force du charme, dans les deux sens du terme ; ils fascinent par cette sorte de chant (comme dirait W.C. Williams) que tu composes, un chant élégiaque loin du barouf sublunaire, un charme triste. Peut-être avons-nous besoin de ce pouvoir de tristesse poétique.
Aux Aresquiers comme dans les autres livres, il y a ces écrivains qui t’accompagnent, souvent des femmes, hormis Georges Schéhadé. Ce sont Jean Rhys, Katherine Mansfield, Virginia Woolf, voire Gertrud Stein ; des figures maternelles de ta poésie. Des auteures d’une grande délicatesse d’esprit et de style. J’ai vu l’ombre de Virginia Woolf dans les poèmes de ce livre (« nous sommes venus/à la pointe du phare//entendre/une fois encore entendre//les vagues »), où tu te laisses aller aux vagues, mais au ressac des vagues, comme des montées de pleurs contenues, les larmes vont, viennent, et deviennent de « faibles vagues » à force de deuil. Dans Son enfance1, tu écris :
le bruit des vagues
pieds nus et sable froid
s’asseoir
le bruit des vagues
les vagues
.
c’est le
rien que
ce bruit
des vagues
L’eau, la pluie, la mer, de vastes métaphores pour l’océan de pleurs qui gronde en toi
La disparition de ta mère, c’est la disparition de l’enfance, et peut-être sont-ce les regrets que tu exprimes sans les exprimer explicitement : l’enfant en toi qui disparais. Cette disparition qui ramène au rien, ce rien qui est quasi la matière de ta poésie, « Rien, c’est l’histoire de tous./Que faire de ce rien qui nous arrive ?/Mais le rien est là de toujours souviens-toi./Notre regard se pose sur tout ce rien des choses. » (Son Enfance), or ce rien, tu le transformes concrètement en poèmes, et c’est où le charme opère.
Jean-Pascal Dubost
Eric Sautou, Aux Aresquiers, éd. Unes, 2022
Post-scriptum : Qui est une anecdote : tu m’as procuré une fausse joie avec la parution de C’est à peine s’il pleut, dont j’ai cru que c’était la reprise de ton texte ancien paru à La Crypte, et qu’à force de déménagements j’ai égaré (le seul de toi que je n’ai pas, n’ai plus) ; mais point du tout, y précises-tu ; par contre, il me semble avoir reconnu des poèmes anciens, repris ici, sinon récris. Mais je ne t’en veux pas de cette fausse joie, car vraie joie ai-je eu à te lire.
1 Son enfance, Faï Fioc, 2021
2 C’est à peine s’il pleut, Faï Fioc, 2021