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(Note de lecture) Sandrine Bourguignon, Le nom d'un fou s'écrit partout par Jean-Claude Leroy

Par Florence Trocmé

(Note de lecture) Sandrine Bourguignon, Le nom d'un fou s'écrit partout par Jean-Claude LeroyFernand Deligny, il fut une époque où ce nom disait quelque chose à pas mal de gens. On l'a oublié, puis on s'en est souvenu. De cet éducateur libertaire, ami et disciple de Tosquelles (1), qui fut en relation avec François Truffaut ou avec Félix Guattari et Jean Oury. De la notion de rhizome présente dans Mille- Plateaux (2) et qui trouve son origine chez Deligny. On se souvient qu'il a publié de nombreux livres, réalisé, ou plutôt camérer (3) quelques films. Et surtout, qu'il a été un des premiers à travailler avec des autistes sans les considérer comme réellement à part. Qu'il a refusé l'enfermement de personnes réputées malades.
Sandrine Bourguignon lui rend hommage par un exercice d'admiration en forme de lettre biographique, une adresse à Deligny qui laisse voir ce que fut sa vie ; le lecteur n'a plus qu'à regarder pour apprendre à connaître un personnage en forme de contrepoint à ce vingtième siècle bureaucratique, technique et claustrateur. Une aventure individuelle, et non point égoïste, au service des égarés, des maltraités.
Aventure veut dire aussi risquer, et c'est sans vrais moyens que souvent s'initient les expériences. Truffaut fait ce qu'il peut pour Deligny, Françoise Dolto partage ses droits d'auteur avec lui, les musiciens de Pink Floyd lui offrent le cachet qu'ils ont touché pour une publicité, de quoi payer une maison. Par ailleurs, quand, dans les années soixante-dix, un Parisien passe dans les Cévennes, qu'il visite Deligny, celui-ci lui remet une miche de pain à remettre à Louis Althusser, reclus dans son hôpital. " C'est de ce Louis que vous aviez dit que l'humain se promenait dans ses textes comme un bout de ferraille dans la bidoche d'un ancien combattant. " (4)
" L'homme n'est rien d'autre qu'un homme qui marche et il serait temps de cesser de lui trouver des excuses. [...] L'homme est devenu ce qu'il est devenu et vous n'en avez cure.
Vous allez désormais vous consacrer à l'humain.
Vous préférez l'écrire sur un mode animal.
Humin, comme on écrit caprin ou bien félin
. " (5)
Les enfants sauvages, il faudrait, dit Deligny, leur foutre la paix. L'enfermement n'est vraiment pas son fort, alors que les collines ou la montagne offrent de belles et significatives promenades. On peut vivre avec les autres sans les comprendre, c'est aussi cela qu'il faut comprendre. On peut lire quelqu'un sans forcément vouloir le saisir, juste l'accompagner du regard ou des yeux.
" Vous conseillez aux parents de mettre leur amour en sourdine. Au moins un peu. Mais vous constatez, à chaque fois que l'un d'entre eux vient récupérer son enfant, à quel point il se rend malade lorsque celui-ci, près du chêne, se carapate ou bien semble plus heureux de retrouver sa place sur la banquette de la voiture plutôt que dans les bras de sa mère. " (6)
Quand Deligny réalise un film qu'il n'est pas prêt à défendre ou expliquer (" demande-t-on à un peintre d'expliquer ses tableaux ? ", se défend-il) Guattari, qui lui fait toute la réclame qu'il peut, ne saisit pas cette distance, il ne comprend pas qu'" on ne change pas le monde avec des mots " (7).
Modestement, les écrivains sont à leur place quand ils ajoutent leur sensibilité à des aventures vécues qui nous aident à supporter l'oppression et l'éternel gâchis de la civilisation. Écrire Le nom d'un fou s'écrit partout était nous en fournir un bel exemple.

Jean-Claude Leroy

*
Sandrine Bourguignon, Le nom d'un fou s'écrit partout, éditions Isabelle Sauvage, 2021, 136 p., 17 €
1) François Tosquelles (1912-1994). Psychiatre d'origine catalane, précurseur de la psychothérapie institutionnelle.
2) Mille-Plateaux, essai de Gilles Deleuze et Félix Guattari, deuxième partie de Capitalisme et schizophrénie, paru en 1980.
3) Camérer, l'expression est de Deligny lui-même, qui se refuse à réaliser, à choisir les meilleurs plans habituels, les plus émouvants, etc. C'est avec le reste qu'il travaille, avec ce qui est le plus banal a priori.
4) Sandrine Bourguignon, Le nom d'un fou s'écrit partout, éditions Isabelle Sauvage, 2021, p. 107.
5) Op. cit. p. 107-108.
6) Op. cit. p. 96.
7) Op. cit. p. 68.


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