Pierre Dhainaut : l’écho et l’essor.
Il aime rapprocher ces mots par une affinité singulière : silence et murmure (16), la glace, la flamme, la joie (17), neige et fleurs (31), ou airelle (59). Il ne cherche pas à élucider, à justifier : il les a choisis et choyés.
Dans ce recueil, c’est le mot « neige » qui se taille la part belle. Comment ne pas citer le vers que lui accole Pierre Dhainaut : « la neige / le nom que la nuit porte à l’aube » ? (14)
L’auteur esquisse une série originale de mots qui seraient comme enchâssés l’un dans l’autre : or, aura, horizon (25 et 31). Un vers reprend la combinaison : « la vie rendue à l’horizon sonore » (49), comme une ultime clef placée sous une pierre du seuil.
Et puis, Pierre Dhainaut dit tout le plaisir qu’il a de redire ces mots : il neige /on n’hésiterait pas à répéter le verbe (19) ; son besoin de les répéter tant qu’il est possible : « reprendre autant de fois / que le permet notre respiration ». (25)
Il ne faut pas réfréner cette envie : naissance, naissance, nous répétons / sans nous préoccuper de l’ordre… (28) ; car elle trouve sa nécessité pour nous préserver ou nous préparer : mais redire « ombre » /à la fois nous alarme, nous raffermit. (23) ; les dire, les redire, leur offrir une mémoire /dans le seul souci de ce qui résonne. (49)
La répétition s’efface, progressivement, autant que se renforce le pouvoir des mots : on entre dans le domaine de l’écho. Ainsi des mots « neige » et « fleurs », au début d’un poème, « si souvent prononcés, puis écrits », changent de statut à la dernière ligne : « pour unique écho les fleurs, la neige ». (31)
Si les mots entrent en résonance, si l’écho concourt à redire, à reprendre, alors la distance s’ajoute, le temps s’interpose, les éléments risquent de s’éloigner : une voyelle, la source, l’écho / d’une intensité identique. (46)
Pierre Dhainaut dit toute la nécessité de ramener les choses au plus près, de les recentrer, de les mémoriser : ici, reprenons-le, ici, l’adverbe « ici ». (43)
Mais il n’y a pas de crainte à avoir, l’écho apporte l’essor, il permet d’élargir la vision autant que l’écoute. La disponibilité n’en est que meilleure : agrandissant la gorge (18) ; l’oreille agrandie nous l’assure. (49)
Tout contribue à agrandir notre monde, notre quotidien, et même lors de ce confinement en 2020 que rappelle Pierre Dhainaut : cela en même temps augmente / la peur évolue en patience. 13
Les éléments du monde naturel sont touchés pas l’essor : le tremblement d’un frêne à nos côtés / s’accroît (29). La neige, encore, le permet : un arbre / et davan- / tage / sous / la neige. (74)
Un être aimé, une attention : et le nom /qu’elle apporte ouvre nos lèvres / comme un sourire il se propagera. (27)
Le poème participe de ce mouvement, il en bénéficie autant qu’il le permet : à la lisière de ces feuilles /où nous écrivons des poèmes, de haut en bas / toujours dans le sens de l’essor : il se poursuit… (47) ; il a augmenté notre écoute. (60)
Dans ce recueil, l’on retrouve la forme d’appareillage que Pierre Dhainaut a choisi pour de nombreux livres : poèmes, sonnets, formes brèves, réflexions libres sur le poème. On trouve un passage de l’air et des souffles de l’un à l’autre, des échos (l’adverbe « ici » a donné le titre d’un recueil paru en 2021). Cette libre résonance contribue à cet agrandissement sans fin, cet élan renouvelé, cet essor généralisé.
La présente note de lecture n’épuise pas les thèmes abordés par Pierre Dhainaut, tant s’en faut. Elle évoque à peine sa sensibilité au quotidien, aux proches, aux éléments. Les poèmes restent libres.
Qu’il nous soit permis de choisir un mot, à notre tour, pour le rapprocher du nom du poète, ce sera : « clairvoyance ». Il sera placé sous le signe de cette neige à l’aube.
L’eau dans la paume, le mot dans un poème, l’écho à l’horizon, quoi d’autre ? (63)
Pierre Dhainaut, Préface à la neige, L’herbe qui tremble. 2022. 83 p.. 14€
Philippe Fumery
Extraits, pages 13 et 14.
Rien, ce n’est rien, cela ressemble
à cette sensation de poids, de vide,
que laisse un oiseau qui ne vole plus,
ne chante plus, cela ne cesse pas de s’achever,
cela, en même temps, augmente :
la peur évolue en patience, il en allait ainsi
avant que la nuit ne vienne, la neige avec elle.
La neige autrefois, la nuit des enfants,
jamais ils n’y entraient d’un coup,
ils s’initiaient au silence habitant
la maison d’étage en étage,
à la lente extinction des feux,
l’espace avait retrouvé son espace,
le souffle avait foi dans les souffles,
quand ils fermaient les yeux, ils pressentaient
quelle serait leur récompense, la neige,
le nom que la nuit porte à l’aube.