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"De notre monde emporté" de Christian Astolfi

Par Cassiopea
notre monde emporté

De notre monde emporté
Auteur : Christian Astolfi
Éditions : Le bruit du monde (7 avril 2022)
ISBN : 978-2493206077
192 pages

Quatrième de couverture

Du début des années 1970 à la fin des années 1980, Narval travaille aux Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. Ce temps restera celui de sa jeunesse et de la construction de son identité ouvrière. Quand se répand le bruit de la fermeture des Chantiers pour des raisons économiques, ses camarades et lui entrent en lutte, sans cesser de pratiquer leur métier avec la même application, tandis que l'amiante empoisonne lentement leur corps.

Mon avis

Me tenir aux mots comme à un fil dans l’obscurité.

Un jour d’Octobre 1972, comme son père des années avant lui, Narval arrive aux Chantiers navals de La Seyne-sur-Mer. Bienvenue dans le monde des ouvriers, des bruits, des odeurs, des matériaux spécifiques à ce type d’emploi. C’est auprès de ses collègues que Narval va devenir un homme, affiner sa personnalité, faire des choix, affirmer ses idées.

Ce roman est une observation fine et très juste du monde des ouvriers. Au bout de quelque temps, des liens très forts sont déjà tissés. « En quelques mois à peine, la Machine nous lie, les Chantiers nous tiennent ferme, main dans la main, chacun est important aux yeux des autres. »
Machine et Chantiers ont une majuscule, comme s’il s’agissait de noms propres, sans doute pour les « personnifier » et dire combien les deux sont présents et prennent de la place dans le quotidien des travailleurs. Tous ont des surnoms, des habitudes qui les démarquent des copains et qui accompagnent leur personnalité. Quand l’un arrête, ceux qui restent sont tristes. Ils se soutiennent, se connaissent, s’entraident, discutent. Narval est de ceux-là, il vit avec sa compagne dans un petit appartement, travaille sérieusement et envisage l’avenir assez tranquillement.

En 1980, les premières rumeurs de fermeture courent, et chacun y va de son idée, comment agir, et d’abord, est-ce que c’est vrai ? Peu après, c’est l’élection de Mitterrand, on suit les hommes, l’actualité, leurs discussions. Beaucoup ont voté à gauche, pensant qu’ainsi tout ira mieux pour eux qui sont en bas de l’échelle. Et pourtant : « Je crois qu’ils m’ont volé ce qu’il me restait d’espoir. »

Les premiers signes de maladie apparaissent chez l’un ou l’autre, c’est l’amiante qui les empoisonne mais le rapprochement n’est pas fait tout de suite. On cache les faits, on les tait afin de ne pas faire peur à ceux qui sont encore sur les chantiers.

« La navale vivra. » La crise économique, la concurrence internationale, la révolution industrielle, les difficultés sont là et augmentent. C’est très pénible à vivre pour ceux qui sont sur le terrain. Les employés luttent, avec leurs moyens, mais c’est compliqué. Cela crée des tensions quand il y a désaccord. Narval s’accroche, pense à son père pour qui les chantiers étaient toute sa vie. Que faire ? Comment laisser une trace de tout ça ? Comment rester « présent » dans son couple lorsque les problèmes rencontrés au travail envahissent votre esprit ? Narval est tiraillé, partagé, il souffre. Il veut comprendre les réactions des autres, les raisons de leurs décisions.

Le récit est très vivant, les phrases courtes donnent un bon rythme. Narval est un personnage attachant qui partage plusieurs années de sa vie avec le lecteur, le texte est écrit à la première personne. L’écriture de Christian Astolfi est délicate, poétique, c’est à la fois sobre et précis. Tout est dit en peu de mots car ils sont magnifiquement choisis et font mouche. Cela m’a beaucoup plu. Ce recueil est édifiant, on réalise ce qu’ont vécu ces hommes, ce qui les a portés ou abattus. Avec eux le mot fraternité prend tout son sens.



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