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(Anthologie permanente), Giuseppe Conte, Je t'écris de Bordeaux, Blessures et refleurissements

Par Florence Trocmé


(Anthologie permanente), Giuseppe Conte, Je t'écris de Bordeaux, Blessures et refleurissementsLes éditions Arfuyen publient Je t'écris de Bordeaux, Blessures et refleurissements, dans une traduction de l'italien et une présentation de Christian Travaux.
extraits

Le tout premier poème du livre, écrit en italique, comme une sorte d'exergue :
Adieu Yusuf adieu Walt Whitman, ombres
de mon ombre - l'homme est un rêve d'ombre -
ensemble nous avons assez chanté.
Adieu distiques et rimes des gazals
pointus comme un minaret
adieu hardies strophes bibliques
charnelles, démocratiques.
Ou non pas adieu, vous êtes en moi, vous resterez.
Mais aujourd'hui je suis ici, je suis seulement
Giuseppe fils d'Anita et de Franco
un homme toujours offensé et jamais vaincu
un homme outragé et blessé au côté
qui a vendangé rêves et malheurs
qui a connu mille villes
qui a aimé les branches sèches et en fleur,
et la mer, et l'Amour. Je suis celui-là seulement.
Et cela est mon nouveau chant.
/
Addio Yusuf, addio Walt Whitman, ombre
della mia ombra - un sogno d'ombra è l'uomo
abbiamo insieme cantato abbastana.
Addio distici e rime dei gazal
acuminati come un minareto
addio ardite strofe bibliche
carnali, democratiche.
O non addio, siete in me, rimarrete.
Ma oggi sono qui, sono soltanto
Giuseppe figlio di Anita e di Franco
un uomo sempre offeso e mai vinto
un uomo vilipeso e ferito al fianco
che ha vendemmiato sogni e infelicità
che ha conosciuto mille città
che ha amato i rami secchi e in flore,
e il mare, e l'Amore. ,Questo sono soltanto.
Duesto il mio nuovo canto.
(pp. 16-17)
*
Prière à l'Amour
Oh, Amour, Amour, reste auprès de moi.
Reste ici avec moi, souple, docile
comme un chat qui dort dans sa corbeille.
Vieillissons ensemble, je t'en prie, même
si je sais que le temps passe pour moi seulement
et que vaine est ma prière.
Ne t'en va pas, ne me laisse pas.
Toi qui m'as donné si souvent au réveil
cette envie de chanter, et tout autant cette
absurde joie d'être vivant
toi graine, rayon, rosée de chaque nuit
toi feuillage vert-lune de l'olivier
branche d'amandier de mars
moût qui dans la barrique
reste.
Comme dans un grain d'ambre lumineux
dorment les insectes préhistoriques
toi reste en moi, Amour, bien visible
dors et rêve dans ma chair
germe, défleuris et refleuris
dans le sommeil et puis rêve encore.
Toi graine, rayon, rosée de chaque aurore.
/
Preghiera ad Amore

Oh, Amore, Amore, restami vicino.
Stattene qui con me, snodato, docile
come un gatto che dorme in un cestino.
Invecchiamo insieme, te ne prego, anche
se so che il tempo passa per me solo
e che vana è la mia preghiera.
Non te ne andare, non lasciarmi.
Tu che mi hai dato cosi spesso al risveglio
questa voglia di canto, quest'altrettanto
assurda gioia di essere vivo
tu seme, raggio, rugiada di ogni notte
tu fronda verde-luna di ulivo
ramo di mandorlo a marzo
mosto dentro la botte
resta.
Come in un grano d'ambra luminoso
dormono insetti preistorici
resta tu in me, Amore, ben visibile
dormi e sogna nella mia carne
germina, sfiorisci e rifiorisci
nel sonno e sogna ancora.
Tu seme, raggio, rugiada di ogni aurora.
(pp. 18-19)
*
Mère matière
La matière est notre mère commune
nous sommes les mottes de terre d'où jaillit
de ses flèches de printemps le coquelicot
et d'où pousse la graine
nous sommes l'herbe menue et les branches
gigantesques du cèdre et les feuilles du bananier,
la matière est la mère, nous sommes les gouttes
de la pluie qui bénit et féconde
l'eau des fleuves que l'on peut boire
l'eau salée de la vague
et de la marée, nous sommes la pierre rocheuse
qui surplombe parmi les agaves et les cactus
le sable du désert tout rose
de brume et de mirages.
La matière est notre mère commune
en elle nous sommes frères, nous sommes les rayons
de la planète Vénus, les glaces des comètes
les corolles abyssales des nébuleuses
constellations encore secrètes
et celles de l'Ourse, du Taureau, des Pléiades.
L'Esprit qui nous engendre
comme hommes et qui nous donne le chant
aime la matière et son sein
comme il l'a aimée au commencement, quand
il la pénétra avec un mouvement
tourbillonnant et rapide
jusqu'à ce que la lumière
soit.
/
Materia madre
La materia è la madre nostra comune
siamo le zolle di terra da dove scocca
le sue frecce di primavera il papavero
e da dove cresce il grano
siamo l'erba sottile e i rami
giganti del cedro e le foglie del banano,
la materia è la madre, siamo le gocce
della pioggia che benedice e feconda
l'acqua dei fiumi che si può bere
l'acqua salata, dell'onda
e della marea, siamo la pietra rocciosa
che strapiomba tra agavi e cactus
la sabbia del deserto tutta rosa
di nebbia e di miraggi.
La materia è la madre nostra comune
in lei siamo fratelli, siamo i raggi
del pianeta Venere, i ghiacci delle comete
le corolla abissali delle nebulose
costellazioni ancora segrete
e quelle dell'Orsa, del Toro, delle Pleiadi.
Lo Spirito che ci genera
come uomini e ci dà il canto
ama la materia e il suo grembo
come l'amò all'inizio, quando l
a penetrò con un moto
vorticoso e veloce
finché fu
luce.
(pp. 28-31).
Giuseppe Conte, Je t'écris de Bordeaux, Blessures et refleurissements dans une traduction de l'italien et une présentation de Christian Travaux, préface inédite de Giuseppe Conte, Arfuyen, 2022, 240 p., 18,5€.
Sur le site de l'éditeur :
Poète, romancier, essayiste, dramaturge, Giuseppe Conte (né en 1945) est l'une des voix majeures de la littérature italienne d'aujourd'hui. Il en a reçu les plus hautes distinctions (prix Montale, Viareggio et Stresa) pour la poésie comme le roman. D'abord attiré par les avant-gardes formalistes, il s'est consacré par la suite à changer notre perception de la nature en essayant de lui donner un langage à travers les mythes et les images.
Le recueil ici traduit a largement été écrit à Bordeaux et en Aquitaine qui sont directement évoqués par plusieurs poèmes. Il a obtenu le prestigieux prix Viareggio et est certainement l'un des plus puissants et personnels de son auteur. Giuseppe Conte a accepté de donner spécialement pour cette édition française bilingue une préface originale. Christian Travaux a traduit l'ensemble de l'œuvre de Conte dont il est l'un des meilleurs spécialistes.
L'œuvre de Conte a été découverte en France grâce à deux traducteurs : Jean-Baptiste Para a traduit L'Océan et l'Enfant (1989) et deux autres recueils de poésie en 1994 et 2002 ; Monique Baccelli a traduit deux romans en 2007 et 2008. Puis plus rien. C'est ainsi que l'un de ses plus grands recueils, Ferite e rifioriture, prix Viareggio 2006, n'a jamais été traduit ici.
Livre pourtant largement écrit en France (Bordeaux, Nice...) et marqué par la littérature française : le texte central est un long monologue imaginaire de Baudelaire à l'île Maurice en 1841 ! Mais surtout puissant livre symphonique, chant d'amour à la vie menacée : menacée sur la planète par la folie destructrice de l'homme comme, chez le poète, par la venue de l'âge. " Il n'est pas possible, déclarait Conte dans une interview, de dire "Il faut sauver la nature" si l'on ne change pas la perception même de la nature. La nature n'a pas de langage propre mais je pense qu'elle trouve un langage à travers nous. "
C'est ce langage de la matière et du corps qui est au cœur du livre. Langage d'humilité et de tendresse, lucide et démuni : " Oh vie, je t'en prie / aie avec moi la main / légère. / Ne t'acharne pas contre qui t'a aimée / tant et sans raison, / comme doit aimer toujours celui qui aime. "


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