Elle anime la plateforme Roseaux pourpres sur plusieurs réseaux sociaux. En particulier sur Instagram. Elle s’appelle Olivia, elle a créé un club de lectures et propose des coffrets littéraires. Elle m’a gentiment demandé si j’étais tenté par l’expérience de la découverte d'un coffret littéraire. J’ai répondu par l’affirmative, très curieux de comprendre cette initiative.
J’ai reçu le coffret, sans trop savoir ce qui m’attendait. La surprise fut agréable. Du thé. Un mocktail (sorte de concentré en poudre d'un cocktail banane/ ananas). Des recommandations de lecture qui effectivement sortent le lecteur que je suis de ma zone de confort. Un recueil de poésie de Kiyémis, A nos humanités révoltées (éd. Premiers matins de Novembre). Parlons poésie. J’ai écouté Kiyémis plusieurs fois sur des podcasts afro, plutôt militants. C’est une voix très importante des courants afroféministes de la diaspora noire en France. Donc, je me suis plongé dans son recueil de poésie et ma toute première remarque est de souligner la qualité de la poésie de Kiyèmis
Les mots de KiyémisIl faut le dire. Quand un lecteur aborde le propos du militant d’une cause, il est préférable que ce soit par le biais d’un essai. L’art et l’engagement ne font pas toujours bon ménage. Mais Kiyémis donne un grand coup de pied dans le derrière de ce poncif par la qualité et la sensibilité de son vers. Et cela est essentiel, car la puissance du poète est dans la qualité, la simplicité, la profondeur de ses mots qui engagent, qui imposent à la lectrice, au lecteur, une halte, une pause, un répit ou un abyssal travail sur soi (ça dépend de son état d'esprit), sur un sujet qu’on ignore, une douleur non exprimée sur des angles morts de nos vies collectives où se répètent incessamment les mêmes violences. Ce sont des mots sur une cause mal traitée et maltraitée. La langue de Kiyémis, je l'ai dit, est belle, accessible, efficace, intelligente. Je me devais de répèter par cet aspect. C'est mon côté atalaku.
Au coeur de l’intersectionnalitéC’est un concept que beaucoup d’entre vous connaissent et qui est au coeur des prochaines mutations des sociétés occidentales, mais aussi des profondes résistances avec l’argument éculé de l’importation de combats américains sur le sol européen. Français, en particulier. L’identification des différentes oppressions exercées par le système en partant de la classe, de la race, du genre, de l’orientation sexuelle, de l’handicap… Et de l’intersection de ces oppressions qui font qu’une femme noire, par exemple, aux Etats-Unis sera à l’échelle la plus basse du système et le réceptacle de toutes ces violences. Ce qui explique que le féminisme des africaines-américaines du SouthSide de Chicago peine à converger avec les postures d’une évangélique blanche de la Virginie Occidentale. Audre Lorde... bell hooks… Autant dire de grandes voix qui inspirent ce que les réacs appellent le wokisme. Que dit la poésie de Kiyémis, dans le contexte français ?
Spécificités françaises de l’afroféminismeJ’imagine que le premier poème qui interpelle sur la question de l’exil, de la légitimité à être dans un lieu ne sera pas lu de la même manière par tous les afrodescendants :
« Sur quelle terre puis-je poser mon front Sentir l’étreinte maternelle d’un foyer Au sein duquel ma place ne sera pas discutée ? »
Je viens de terminer le premier roman de Cheikhna Aliou Diagana, Triple saut à Melilla, et je pense au mouvement de Rebecca - une des personnages au destin tragique - pour une vie meilleure, pour s’extraire d’une violence perpétrée avec constance dans le cadre de sa migrance vers l'Europe avec l’idée de rencontrer cette étreinte maternelle, « care », chaleureuse de l'Espagne, de la France ou de l'Italie. Le poème Des racines nées est terrible parce qu’il annonce le rejet, là où l’accueil serait une possibilité un arrimage, une possibilité d’être enfin. En tournant, une page, c’est un hommage aux mères qu'elle propose : nos compagnes, nos soeurs, nos mères épuisées par la charge mentale plus lourde que jamais que les hommes leur imposent. Je pense à ma grand mère sur le Plateau batéké qui bossait comme la paysanne scrupuleuse qu'elle a été dans sa modeste vie et en mère courage assidue qu’elle était. Tu bosses toute la journée et tu te tapes les corvées domestiques pendant que pépé papote avec ses potes sous un ma nenguier. Je pense à ma mère, biochimiste, qui a su prendre soin de sa progéniture :
« Vivre pour les autres, travailler pour les autres, exploiter par les nôtres ! » (p.13)
La charge est rude Peut-on dire que c’est faux ? Ne sont-ce pas nos sociétés traditionnelles qui disent en peul « Munyal! », endure, encaisse, sert dans nos sociétés patriarcales pendant que les hommes causent de la cité sous l’arbre à palabres ? Mais où sommes-nous ? Je cité Djaïli Amal Amadou à dessein.
« Leurs sacrifices sont normalisés Leurs corps, dépossédés. Qui leur donnera un peu de liberté! »
J’ose cependant. Peut-il en être autrement ? Quand on porte en soi la vie des autres au sens réel comme au sens métaphorique ? Je pense à ce texte de Mamadou Mahmoud N’Dongo, dans Les corps intermédiaires (éd. Gallimard, Continents noirs, 2014) où le personnage central parle de sa mère qui le hait pour l’avoir dépossédé de la beauté de jeune fille. L'impact d'une grossesse. Je pense donc à ce sujet parce que c’est la problématique question de la maternité. Aujourd’hui. Porter une vie, c’est être momentanément dépossédé de son corps quand on aborde les choses avec ces lunettes-là. Par contre la fin de l’apostrophe interpelle l’homme dans ce qui devrait être la nécessaire complémentarité, qui apporterait souffle et apaisement à nos compagnes. Dans le poème Vaillantes, il y a une célébration d’héroïnes du monde des lettres, que l’histoire pilotée par les hommes noirs a tôt fait d’évacuer. Et qui à juste titre, par Kiyémis, sont réhabilitées le temps d’un poème. Aurait-on parlé du mouvement de la négritude sans les soeurs Nardal, à titre d'exemple ?
« Nos étoiles des Suds Nos repères dans le soir, Nos lumières face à la Grande Nuit Nos lunes dans le noir » (p.14)
Il est des douleurs plus personnellesLa poésie n’est jamais plus belle que lorsqu’elle s’extrait de la vindicte collective pour aborder des fêlures plus personnelles, plus intérieures. Nous sommes voyeurs de ces douleurs là, en lecteurs que nous sommes, plus concentrés sur le cri solitaire que sur le brouhaha, aussi beau fut-il. « Endeuillée » nous conduit vers cette piste plus sinueuse. Sur le danger du rêve pour une femme… Mais les possibilités qu’il offre aussi. Peut-être que Kiyémis est-elle trop près des événements. Comment ne pas penser au Pasteur Alexandre Bedward dans le roman de Kei Miller, By the river of Babylon, qui rêvait de s’envoler pour redonner de l’espérance au petit peuple jamaïcain d’Augustown. Je tombe, en citant le roman d'un homme, dans les travers non repensés de l’homme noir et son pouvoir fait d’abus et de non reconnaissance aboutissant à la neutralisation des imaginaires féminins constatée dans ce recueil. Il me semble cependant intéressant de mentionner l'envol fantastique et l'écrasement plat d'une femme dont parle ce poème.
Poésie et fureur : le nécessaire dialogueLa domination masculine afro, peut-être, en trouverons-nous les clés dans la poésie. Il y a deux ans, nous avons organisé sur mon podcast des rencontres autour de la poésie érotique avec des auteurs du Gabon et du Bénin. De très belles plumes. Il était très intéressant d'écouter les prises de parole d'hommes, de femmes depuis le continent africain et dans la diaspora sur le thème de l'érotisme et la complexité de nos relations intimes. Là où, pensais-je la douceur couvait, c'est la violence qui fut contée. Je m'inclus dans ce machisme inconscient porté par les poètes. Pouvons-nous en parler ? Déconstruire certains mécanismes pour bâtir quelque chose plutôt que nous enfermer dans des forteresses, s'accuser derrière des barricades ? Kiyemis m'a fait penser au travers de son très beau recueil à toutes ces lectures d'hommes, de femmes sur ce vivre ensemble si pénible à construire. Merci Olivia pour cette lecture. Merci Kiyemis pour cette réflexion qui je l'espère se poursuivra.
Kiyémis, A nos humanités révoltéesEditions Premiers matins Novembre, 49 pages, première parution