Voilà sans doute pourquoi je n’ai pas été charmée par ce film. Voir les personnages enchaîner cigarette sur cigarette m’a extrêmement agacée. Je n’ai pas du tout la nostalgie des cassettes VHS ou du téléphone à touches. Mais j’ai été sensible à l’immense qualité de l’interprétation, toute en finesse et sensibilité par l’ensemble des comédiens, les plus professionnels comme Charlotte Gainsbourg, Emmanuelle Béart et Didier Sandre, tout autant que par les moins expérimentés.
Elisabeth vient d'être quittée par son mari et doit assurer le quotidien de ses deux adolescents, Matthias et Judith. Elle trouve un emploi dans une émission de radio de nuit, où elle fait la connaissance de Talulah, jeune fille désœuvrée qu'elle prend sous son aile. Celle-ci découvre la chaleur d'un foyer et Matthias la possibilité d'un premier amour, tandis qu'Elisabeth invente son chemin, pour la première fois peut-être. Tous s'aiment, se débattent... leur vie recommencée ?Le film est classé parmi les drames, mais il flirte avec le genre comédie romantique et le documentaire. Il faut saluer le montage de Marion Monnier. L’œil ne fait pas la différence entre les documents d’archives, les scènes tournées classiquement et celles qui l’ont été en 16mm, avec une caméra Bolex ou en 35 mm, sans compter le travail accompli sur le grain de l’image avec le chef opérateur Sébastien Buchmann. Et puis l’idée d’utiliser des extraits de films qui sont encore cultes est absolument formidable. Toute une génération a été marquée par le décès tragique de Pascale Ogier après son interprétation si sensible dans Les nuits de la pleine lune d'Eric Rohmer (1984), que l'on voit aussi dans un court extrait du Pont du nord de Jacques Rivette (1981). On remarquera aussi une scène de Jacques Rivette, le veilleur film documentaire de son ancienne collaboratrice Claire Denis, comme assistante au début des années 1980.Mikhaël Hers a manifestement voulu rendre hommage aux cinéastes de la Nouvelle Vague à travers ces extraits de films de Rohmer et de Rivette (ne manquent que Truffaut et Godard …). Le choix de Noé Abita pour incarner Talulah est lui aussi signifiant car elle fait penser immédiatement à Pascale Ogier dont on sentirait presque la présence.Je ne me verrais pas vivre dans ce quartier de Beaugrenelle, sorti de terre dix ans auparavant, mais je reconnais qu'il compose le décor idéal pour incarner la modernité mais aussi susciter l’inquiétude éventuelle et l’anonymat des grands espaces. Il entoure la Maison de la Radio où va travailler Elisabeth. Et il est autant cinématographique de jour comme de nuit.Le film se déploie sur 7 ans mais je n'ai pas senti les années passer. le décor est tellement minéral qu'on ne perçoit pas de changement. Et la garde-robe des personnages n'évolue pas. Ce qui est par contre très réussi c'est la manière dont Elisabeth, qui manifestement n'a pas de formation particulière, parvient à éviter la précarité en cumulant deux emplois plutôt sympathiques (malgré leurs contraintes et la fatigue engendrée).
On retrouve l'importance des émissions de nuit, alors que les réseaux sociaux n'occupaient pas encore le terrain de la solitude. Et le fonctionnement des bibliothèques de quartier, véritable lieux de rencontre, à un moment où le prêt est encore une affaire humaine, et non de robots.
La place accordée à la fragilité et à l'émotion est savamment dosée. C'est un film qui impose le respect. j'en retiens cette phrase : Il aura été ce que nous aurons été pour les autres, ces inconnus magnifiques.
Les passagers de la nuit, réalisé par Mikhaël HersAvec Charlotte Gainsbourg (Elisabeth), Quito Rayon Richter (Matthias), Noée Abita (Talulah), Megan Northam (Judith), Thibault Vinçon (Hugo), Laurent Poitrenaux (Manuel), Emmanuelle Béart, (Vanda Dorval) Didier Sandre (le père d'Elisabeth)…Sortie nationale le 04 mai 2022