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(Carte blanche) à François Lallier : Gaëtan Picon et la poésie

Par Florence Trocmé

GAËTAN PICON ET LA POÉSIE
en préambule à un colloque qui se tiendra à Paris les 3 et 4 juin 2022

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Qui veut connaître et comprendre la poésie du XXème siècle ne peut trouver de meilleure introduction, de plus complète et de plus éclairante, que celle qu’offre l’œuvre critique de Gaëtan Picon. C’est un fait, que ses écrits critiques, donnés le plus souvent à des revues, et selon une actualité qui n’est autre que la rencontre du présent – présent de la création, présent de l’œuvre, présent de la lecture ouvrant sur un avenir dont l’attention qu’on lui porte aujourd’hui témoigne, montrent une compréhension remarquable des recherches poétiques les plus marquantes, et souvent les plus difficiles. Recueillis dans deux volumes au titre bien plus programmatique qu’il ne semble, L’Usage de la lecture I (1960) et II (1961) (un troisième volume paraîtra en 1963, Lecture de Proust) ils sont accompagnés d’une note indiquant leurs lieux de parution, Confluences, Fontaine, Liberté de l’esprit, La Nouvelle Revue Française, Les Lettres Nouvelles, Critique, Le Mercure de France. Il faut remarquer que Gaëtan Picon, lecteur de Malraux, de Bernanos, de Balzac, de Tolstoï – je cite ici des auteurs sur lesquelles il a publié des études et des préfaces approfondies – ne fait nullement de la poésie un domaine à part de la littérature. Il définit une écriture spécifique, celle d’un auteur singulier, mais en sachant le saisir au plus originel de son intention, qui n’a pas les mêmes visées, n’obéit pas aux mêmes lois, dans le roman ou dans la poésie. Avec une sensibilité, une intelligence des complexités du processus créateur, remarquables, il décrit ce qu’il voit d’une aventure créatrice, libre de tout dogmatisme et capable ainsi de percevoir et faire percevoir celles qui comptent à ses yeux, romanciers ou poètes étant confrontés, avec des intentions et intuitions différentes, à la même réalité de l’écriture – où naissent, précisément, les différences. Tel est cet « usage de la lecture », qui s’inscrit dans la proximité – car il sait bien que la critique est aussi un genre littéraire, une écriture – de Blanchot, Georges Poulet, de Jean-Pierre Richard, de Barthes à ses débuts, à une distance raisonnable du New Criticism (entre attention à la forme et souci des significations), et observe sans antipathie le structuralisme naissant. Mais ce qui distingue la démarche de Gaëtan Picon, c’est la prise en compte d’un jugement esthétique inséparable de la compréhension qu’il induit et qui en est la seule cause, entrainant cette participation à l’acte créateur qu’est la lecture – comme il l’avait montré dans le grand livre, inquiet, qu’est son essai, L’Écrivain et son ombre, en 1953. Celui-ci était défini dans son titre comme le premier tome d’une Introduction à une esthétique de la littérature, qui devait être suivi d’un autre. Comprenons que ce deuxième tome, ce sont précisément les recueils de L’Usage de la lecture, et pour ma part j’aime à penser que rien ne permet mieux de le faire que les études consacrées aux poètes, ou, pour mieux dire – car qui peut se déclarer poète ? – à la poésie. Les noms ? Dans l’ordre des études, Éluard, Michaux, Char, Saint-John Perse, Reverdy, Jouve, Valéry, mais également Gracq, s’il n’est pas malséant de faire entrer dans la poésie l’auteur d’Un balcon en forêt. Nul plus que lui pour toutes les raisons que j’ai dites, n’a pu fixer tel moment de ces auteurs et de ces œuvres en décelant non seulement leur passé – qu’est toujours l’écrit – mais aussi leur avenir, tel qu’il se dessine dans le mouvement et les problèmes de l’écriture. C’est le cas pour Michaux, pour Jouve, et de façon plus éclatante encore pour les poètes étudiés dans « Situation de la jeune poésie », en 1957 : Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Jacques Dupin, Roger Giroux, Edouard Glissant, Philippe Jaccottet ...
Une esthétique de la littérature, une poétique de la création : cela préparait sans doute à une conversion qui s’opère dans l’intérêt du critique qu’est Gaëtan Picon, après 1965, en direction des arts plastiques, et singulièrement de la peinture. Mais n’était-ce pas se rapprocher encore de la poésie ? Il avait écrit en 1955 une remarquable préface aux Écrits esthétiques de Baudelaire (pour l’édition du Club du meilleur livre), et Baudelaire théoricien ou critique d’art est toujours présent à son esprit quand il publie en 1967 un Ingres, chez Skira (récemment réédité à l’Atelier contemporain). Le dialogue de l’art et de l’écriture dans le processus de création, qui était peut-être son intérêt le plus profond, il le mettra en évidence, de 1969 à sa mort, dans la conduite de la collection « Les sentiers de la création », chez Skira encore : quelle que soit la définition de ses auteurs sur les rayons d’une bibliothèque ou d’une librairie, c’est toujours d’un acte de poésie, au sens le plus englobant, qu’il s’agit, et le dialogue qui s’établit alors, implicitement, entre ces vingt-neuf livres en est la preuve toujours vivante : Haï de Le Clézio s’accordant de façon étonnante avec L’Arrière-Pays d’Yves Bonnefoy, Émergences-Résurgences de Michaux avec La Nuit talismanique de René Char, La Mémoire du monde d’André Masson avec La Botte à nique de Jean Dubuffet, ou La Fabrique du pré de Francis Ponge. Ces résonances multiples d’un projet unique, mais où se reflète beaucoup de la personnalité critique de Gaëtan Picon et de son avenir dans les esprits, seront au centre d’un important colloque qui se tient les 3 et 4 juin 2022, à l’École Normale supérieure, rue d’Ulm, à Paris.
François Lallier

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