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(Anthologie permanente), Laurent Albarracin, Manuel de Réisophie pratique

Par Florence Trocmé


(Anthologie permanente), Laurent Albarracin, Manuel de Réisophie pratiqueLaurent Albarracin publie Manuel de Réisophie pratique, aux éditions Arfuyen.
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Que nul n'entre ici s'il n'est tautologue.
Car c'est à sa dimension de chose que se mesure la chose
Et c'est dans sa dimension de chose qu'elle se déploie en chose.
Parce qu'elle s'enchose qu'elle est chose.
La dimension de chose de la chose n'est pas sa causalité,
Elle est sa chosalité.
La chosalité c'est l'effet de la chose sur la chose
Non pas comme relation de cause à chose
Mais comme chose de la chose.
La chose est le pré carré de la rondeur de la chose.
La chose est l'objet de la chose, elle est sa chose.
Ressentir la dimension de chose de la chose
C'est retrouver la chose primordiale.
Car il y eut jadis une chose primordiale.
A l'origine, dans l'aurore des choses,
Ce fut, pour toute chose,
Une belle syzygie.
Toute chose était inséparée
Et elle était inséparée d'elle-même.
C'est au Réisophe de remonter
À la syzygie de la chose inséparée.
(12)
4
Ce qu'on pourrait apprendre du miel,
Le miel le garde pour lui.
Il conserve jalousement
Le torrent de miel qui se jette au miel,
Les cambrures folles qui lui font un marbre en feu.
C'est comme s'il avait rempoté sous nos yeux
Ses longues courbes matiérées.
(14)
7
Ce que tu dis,
Dis-le à l'intérieur de ce que tu dis.
(17)
10
Si l'horizon te paraît bouché,
C'est que tu regardes trop bas.
Et c'est en général que tu te bouches l'horizon
Avec tout l'encombrant de toi.
(20)
58
C'est parce que le papillon s'ébahit
Et que ses ailes s'épatent comme des soucoupes
Qu'il est le papillon.
S'il ne s'étonnait pas lui-même
Il serait encore une chenille
(71)
166
Ce qui te dépasse a, pour ce faire, besoin de toi.
(186)
211
Le silence bruisse
Comme une pente sur laquelle
C'est rien
Qui coule.
Entends le silence : c'est le langage qui écoute.
Il bruit d'une attention parfaite. (233)
Laurent Albarracin, Manuel de Réisophie pratique, Arfuyen, 2022, 250 p., 18€
Sur le site de l'éditeur
" La tautologie est selon moi le sommet caché, impossible, de la poésie [...] Que la chose soit soi-même soi est le plus beau trésor, et le mieux caché qui soit, la plus grande évidence et le plus grand mystère. " ( De l'image, 2007). Ces lignes de Laurent Albarracin résument sa démarche, aussi simple que rigoureuse.
Avec Res rerum, Laurent Albarracin introduisait à une nouvelle étape de sa quête paradoxale en la faisant entrer dans le champ de l'alchimie. Le présent Manuel en offre le plein déploiement. Non sans humour, l'" Avertissement au lecteur " donne les précisions suivantes : " Suite à la publication en 2018 de l'ouvrage Res rerum par les éditions Arfuyen, nous avons reçu par la Poste, sans mention d'expéditeur, une liasse de papiers [...]. Le paquet contenait un mot griffonné : "Si vous le jugez opportun, publiez ces textes. Publiez-les sous votre nom afin d'écarter les curieux qui viendraient par leurs sollicitudes entraver nos activités." Signé : "Le Collège de Réisophie" "
En 224 poèmes d'une impeccable écriture, tantôt longs et tantôt très courts, le Manuel nous ouvre à une vertigineuse méditation sur la réalité que nous croyons connaître : " Les choses sont comme des vases / Qui en s'évasant / Se recueilleraient. / Comme une lumière / Qui en éclatant / Se rassemblerait. " Mais encore : " Nous n'entendons pas les choses parler / Parce qu'elles sont des oreilles qui voient. "
Le regard espiègle de l'enfant se mêle ici à la réflexion du philosophe en une approche et une connaissance qui sont spécifiquement celles du poète. D'un des plus originaux et profonds d'aujourd'hui.
Rappel biographique
Laurent Albarracin est né en 1970 à Angers. Dès 1995, il s'installe en Corrèze où il est enseignant.
Il fait la rencontre du poète Pierre Peuchmaurd, à qui il consacrera un essai paru en 2011 aux Éditions des Vanneaux. À la fin des années 1990, il participe au Jardin ouvrier, la revue très originale et confidentielle publiée par Ivar Ch'Vavar (1995-2003).
Son premier livre paraît en 1998 sous le titre Les jardins nucléaires (L'air de l'eau). Suivent Le feu brûle (Atelier de l'agneau, 2004) et De l'image (L'attente, 2007).
En 2009 il décide de créer sa propre maison d'édition à l'enseigne du Cadran ligné. À raison d'un ou deux livres par an, il constitue un catalogue d'auteurs souvent remarquables parmi lesquels on signalera Boris Wolowiec ( Gestes) et François Jacqmin ( Traité de la poussière), ses dernières parutions.
Laurent Albarracin poursuit en parallèle son exploration personnelle, dans les confins des recherches d'un Francis Ponge ou d'un Roger Munier. Parmi ses ouvrages, citons : Le Secret secret (Flammarion, 2012), Le Ruisseau, l'éclair (Rougerie, 2013), Fabulaux (Al Manar, 2014), Cela (Rougerie, 2016), Broussailles (L'Herbe qui tremble, 2017).
Il collabore au site Poezibao et tient une chronique sur le site de Pierre Campion. Avec Guillaume Condello et Pierre Vinclair, il a créé en 2017 la revue Catastrophes.


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