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FICNI : La possibilité d'une rencontre

Par Gangoueus @lareus
Apsatou Bayaga, photographe nigérienne

Je suis intervenu à Niamey dans le cadre de la foire des industries créatives du Niger. Une initiative  extrêmement intéressante dans l’idée où les acteurs des domaines de la culture, investisseurs, artistes, administrateurs de ce secteur d’activités se retrouvent dans la capitale nigérienne. C’est la deuxième édition de cet événement après une première expérience en 2010.


Il s’agit d’un projet porté par l’APEIC avec plusieurs partenariats dont celui avec le CCFN (Centre Culturel Franco Nigérien) que dirige Jean-Michel Neher. Dans le cadre de cette foire, le CCFN a organisé plusieurs conférences dont celle de l'écrivain et universitaire Kangni Alem en séance inaugurale «  Industries artistiques et créatives  rentables : quelles possibilités pour le Niger ? ». Il était sur ce sujet accompagné d’un spécialise nigérien de la propriété intellectuelle. Pour ma part, j’intervenais le lendemain sur «  L’impact du marketing digital sur la circulation des oeuvres artistiques ». Je partageais ce sujet avec une spécialiste de la communication digitale Peace Ahouissou, basée à Niamey. 

Regards sur les industries créatives nigériennes

La première intervention avec Kangni Alem et Hassane Yacouba Kaffa a permis de poser le cadre. Les échanges ont été fructueux. En particulier dans ce moment où le professeur Kangni Alem, avec le sens de l’humour et la qualité de son analyse, a produit un portrait lucide l’industrie créative nigérienne dans l’écosystème ouest-africain en soulignant le fait que les artistes qui incarnent pour certains secteurs la renommée de ce pays à l’étranger s’accomplissent justement de la consommation de leurs productions dans des terres d’accueil qui peuvent être la Côte d’Ivoire pour le styliste Alphadi ou l'humoriste Mamane. Dans cet échange, le second intervenant pose la question de la capacité du public à consommer des produits culturels nigériens. La question fatidique. Car dans le fond, nous sommes en droit de nous poser le sens d'une stratégie digitale si sa finalité est un achat sec en ligne ou sur une place de marché nigérienne. En prenant les exemples d’Alphadi et de Mamane, Kangni Alem a tenu à souligner que pour le premier, l’espace qui lui permet de rencontrer des consommateurs, c’est d’abord la Côte d’Ivoire, puis le monde. L’humoriste Mamane a gagné ses lettres de noblesse sur Radio France International et développe désormais ses spectacles en Europe et en Côte d’Ivoire. Qu'en est-il des artistes nigériens ayant une envergure nationale ?
Dans cette première conférence, j’ai retenu une intention des autorités nigériennes : créer un espace de développement des activités artistiques et culturels et tout en permettant aux artistes d’évoluer en parfaite autonomie. C’est du moins, la raison d’être de ce type d’initiatives où les producteurs de contenus culturels, d’oeuvres artistiques peuvent s’exprimer sur leur situation. Un artiste sculpteur a posé une question en haoussa ou en djerma à Kangni Alem sur le sujet des chiffres concernant l’activité culturelle au Niger. Ce à quoi, ni lui, ni Hassan Yacouba Kaffa n’avait de réponses. Et pour cause, elles sont très difficiles à trouver. Mais, cela a donné la possibilité au professeur Alem de rebondir sur les chiffres de l’activité des industries créatives au Nigeria voisin qui, en l’occurrence, sont produits voir surproduits pour que chaque état de cette fédération affirme ses activités dans le secteur des industries créatives en termes de consommation, qu’on soit dans le textile ou dans l’industrie du cinéma par exemple. Les chiffres sont là comme des indicateurs d’objectifs d’expansion à atteindre. Leur absence signifie donc quelque chose à corriger pour le Niger.

Quel marketing digital dans ce contexte ?

Quand le sujet m’a été proposé sur L’impact du marketing digital pour la circulation des produits culturels nigériens, mon premier réflexe a été de me demander quels sont les produits culturels nigériens, les artistes concepteurs de renom de ce pays de 24 millions d’habitants? En dehors des deux figures citées plus haut, j'ai pensé à Tinariwen et le blues touareg en général. Pendant un mois, à mes heures perdues, je me suis plongé dans cet univers et j’ai trouvé des  artistes passionnants que ce soit dans la scène du slam et du hip-hop, dans la mode ou dans la musique traditionnelle. Mais c’est surtout, un savoir faire comme la tannerie et un artisanat très riche. Pour trouver des produits nigériens en ligne, c’est une affaire plus complexe. L’une des premières raisons porte sur la confusion des moteurs de recherche avec l’ogre et voisin nigérian. Une seconde concerne la sous-exploitation des infrastructures du Numérique pour promouvoir les produits culturels. Et pour cause : la fourniture d’accès à Internet est particulièrement fragile. Avec pour conséquence un usage assez sommaire de l’internet, avec un enfermement sur des réseaux sociaux comme WhatsApps et Facebook. Des usages étonnants avec la circulation en vases clos des informations sur des groupes d’échange WhatsApps rassemblant jusqu’à 250 personnes. En dehors des plateformes numériques, tout est souterrain. Il y a, il me semble, un côté underground dans la communication digitale au Niger qui présente des aspects positifs pour lancer intelligemment un produit. Je ne suis pas sûr que ce mode de communication soit le seul fait de la faiblesse de l’internet. Dans ce contexte comment penser le marketing digital ? Avant tout comme une possibilité de rencontre.

La possibilité d'une rencontre

J’avais un angle d’attaque précis. Répondre au moyen de faire circuler une production artistique, une oeuvre littéraire. Informer efficacement de la qualité et de l’originalité d'un produit. Communiquer sur la diversité culturelle d’un pays à l’histoire si glorieuse. Le souvenir du Songhaï résonne dans la tête de tout écolier africain un peu studieux. Tout dans la stratégie est de savoir à qui on s’adresse : des médiateurs (critiques d’art, journalistes culturels, blogueur,  universitaires, instances de légitimation)? des producteurs - éditeurs - des labels de musiques - ? les institutions et le public? En fonction, de la cible plus ou moins large cherchée, la communication autour du produit culturel ou de l’artiste va s’adapter. Prenons un exemple simple, à l’échelle de l’état nigérien. Quand un touriste vient dans ce pays, il va chercher des éléments permettant d’enrichir son séjour. Sur le plan culturel, peut-être qu’Agadès, ville aussi mythique que Tombouctou, il y trouvera un musée ou une résidence des empereurs songhaï. Pour cela, il faut un site internet référencé, avec les informations nécessaires à un touriste (moyens de déplacement, hôtels, activités). A ce site, sera rattaché des contenus sur les réseaux sociaux. Ce genre de détails aide à la prise de décision, à l'achat d'un billet d'avion, donc à la rencontre. Le musée Boubou Hama par exemple semble être une institution incontournable de Niamey mais il n’a pas de website vitrine qui permettrait de parler des contenus à voir et de renseigner sur l’art nigérien. Pas de vitrine, pas de lèche vitrine, pas de rencontre. Je faisais remarquer dans mon intervention que ce pays regorge d’artistes musiciens de talent. Mais les contenus sur YouTube sont peu engageants. Ou encore des bonnes pratiques sont à développer quand le contenu est de qualité pour augmenter la visibilité comme pour des réseaux sociaux comme Instagram, identifier les bons hashtags permettant de mettre le contenu proposé dans les bons couloirs de communication genre #slampoésie quand je veux apparaître dans les communautés du slam francophone ou encore #spokenword quand je communique avec le réseau des slameurs nord américains. La rencontre se fera-t-elle ? C’est aléatoire, mais si la qualité est au rendez-vous et le contenu positionné au bon endroit, alors peut-être… La rencontre, c'est aussi la dématérialisation de la chaine du livre par les possibilités immenses de l'e-book pour faire circuler le livre et changer le rapport aux livres dans les pays sahéliens et les possibilités immenses de collecte de données sur les traditions orales nigériennes. 
La rencontre c’est la possibilité d’être présent sur les nouveaux réseaux sociaux adaptés à notre prestation. Encore une fois, il faut se donner les moyens d’être présent sur tous les canaux utiles et engageants. L’expérience partagée avec Nora Zaïr, photographe algérienne membre du collectif Tilawin.Project, invitée du CCFN pour une exposition photo magnifique, m’a confortée sur les possibilités qu’offre une bonne communication digitale pour participer à des expositions, à des festivals de photographie en dehors d’Algérie. Mais, il faut, il me semble, dans ces collectifs de slameurs nigériens, des spécialistes dédiés à ces questions de visibilité à même de nourrir ces espaces de contenus en adéquation avec le storytelling de l’artiste. Ma collègue Peace Ahouissou a fourni de nombreux éléments techniques pour booster les produits. Dans le fond, nous avons été très complémentaires, elle, donnant beaucoup d’éléments sur la problématique complexe de la monétarisation à partir de plateformes comme YouTube Music pour nombre de pays africains. 

Conclusion

Je pense que la stratégie digitale autour de produits culturels dans des pays n’ayant pas une maturité en termes d’infrastructure doit être pensé finement. Je terminerai par un exemple qui touche à la photo, en termes d’opportunités. D’autant qu’à l’inauguration de la FICNI, j’ai rencontré des photographes qui n’ont pas pu venir assister à nos échanges quelques heures après pour pousser la visibilité de leurs travaux. Des plateformes comme Unsplash qui proposent des images aux graphistes et des webdesigners. Ce type de banque d’images a un déficit d’images sur l’Afrique, sur les villes, les hommes, les femmes, les artères qui peuvent servir d’illustration. Flickr aussi est un terrain à conquérir par les photographes subsahariens. Encore, faut-il connaître ses plateformes et avoir les moyens techniques d’y charger du contenu lourd. Ma conclusion est un peu longue, mais il faut saluer la démarche de l'APEIC et des autorités nigériennes, à l'initiative de ce moment en partenariat du CCFN qui m'a invité. Avec une interpellation, l'APEIC gagnerait à avoir une vitrine numérique présentant tous les services qu'elle propose aux industries créatives de ce pays.
  

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