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Le jeûne ? Un délice réservé aux initiés…

Par Tobie @tobie_nathan

Publié dans Philosophie Magazine, n°160 juin 2022

Le jeûne ? Un délice réservé aux initiés…

On raconte que Pythagore, pour être admis aux mystères égyptiens, avait dû se soumettre à un jeûne de quarante jours, à l’issue duquel il aurait déclaré être devenu un homme nouveau. Le processus est clair : le jeûne induit la métamorphose par une sorte de mécanique propre, depuis les initiations chamaniques des Amérindiens des grandes plaines jusqu’aux créateurs de religion. Moïse s’est imposé une ascèse de quarante jours avant de recevoir la Torah. Il en va de même pour Jésus, encore quarante jours, avant de résister aux tentations sataniques dans le désert. Idem pour Mahomet et tant d’autres… jusqu’à Gandhi, qui s’est abstenu de se nourrir, une nouvelle fois pendant quarante jours, avant de s’attaquer aux Britanniques…

Inscrit dans l’histoire avec de fortes connotations religieuses ou mystiques, le jeûne est réapparu ces vingt dernières années, chargé d’une force nouvelle, dans les courants de « développement personnel ». En Allemagne, d’abord, où près de 20 % de la population aurait déjà jeûné et où des cures de « jeûne thérapeutique » sont prescrites par la médecine officielle et remboursées par le système de santé, mais aussi en France, où l’on compte plus de 10 000 nouveaux jeûneurs chaque année.

Le jeûne ? Un délice réservé aux initiés…
Dans Philosophie Magazine, n°160 juin 2022

Quelle est donc la transformation que promettent les vendeurs de jeûne qui pullulent sur Internet – un comble : payer pour ne pas manger ! –, à quels mystères promettent-ils de nous initier ? D’abord, à notre propre nature ! Nous mangeons n’importe quoi, n’importe comment, et nous nous retrouvons malheureux et obèses. Révoltons-nous ! Comment ? Par le jeûne précisément, jusqu’à nous reconnecter à nos besoins fondamentaux…

D’autant qu’une nouvelle forme de jeûne, à souffrance réduite, un jeûne perlé, quotidien, est apparu : le jeûne intermittent, qui fait fureur aujourd’hui. Il consiste à se priver de nourriture durant seize heures, en sautant, par exemple, le petit déjeuner. Les propositions fourmillent, les livres fleurissent – par dizaines –, les émissions de télé sont plébiscitées. En s’y adonnant, on pourrait donc, sans effort, perdre du poids, gagner en vitalité et se soigner de nos mille maux. Il y a mieux encore : la Warrior Diet, « diète du guerrier », qui reprend le régime des guerriers spartiates, eux qui s’entraînaient au combat la journée durant pour s’adonner, le soir venu, à un véritable festin. Cette fois, c’est seulement durant quatre heures, en fin de journée, qu’on se laisse le droit de s’alimenter.

Ne nous trompons pas : au-delà de l’esthétique et du bien-être, le jeûne accomplit, de nos jours aussi, sa promesse d’initiation. Il nous connecte – et viscéralement, jusque dans nos tripes ! – à trois grandes idéologies contemporaines : l’Ascèse new style, un chemin vers une vertu sans dieu ; le Transhumanisme, une recherche de l’augmentation de ses capacités physiques et mentales ; et l’Animalisme, la reconnaissance militante de notre nature animale. Adoptez le jeûne et vous deviendrez vertueux sans vous encombrer de dieu, vous ne raterez pas le train de l’amélioration de votre potentiel et vous prendrez conscience de votre condition animale fondamentale.

Peut-être ne faudrait-il pas oublier la satisfaction d’un brin de narcissisme infantile, celui qu’évoquait Franz Kafka dans sa célèbre nouvelle Un artiste du jeûne, lorsqu’il fait dire au jeûneur à l’agonie : « J’ai toujours voulu que vous admiriez ma faim. »

—> À lire
« Un transhumanisme “à mains nues”. Sociologie de la promesse du jeûne »
de Sébastien Dalgalarrondo et Tristan Fournier, article paru dans la Revue d’anthropologie des connaissances (2019).

Le jeûne ? Un délice réservé aux initiés…
Tobie Nathan

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