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Souvenirs d’un homme démodé i : petite femme à la djellaba couleur

Par Abdesselam Bougedrawi @abdesselam
SOUVENIRS D’UN HOMME DÉMODÉ I : PETITE FEMME À LA DJELLABA COULEUR

Il m’arrivait, lorsque j’étais enfant, d’accompagner ma mère, essentiellement le dimanche matin, pour faire une partie des courses de la semaine. Si je parle surtout de ma mère, c’est tout simplement parce que j’ai perdu mon père lorsque j’avais l’âge de trois ans.

Après toutes ces années, je me rappelle parfaitement, au pas près, le parcours que nous faisions jusqu’au Souk des fruits et légumes. Il est situé un peu plus bas que le cinéma Atlas, il correspond à l’actuel marché Kilani. Tous les Safiots connaissent parfaitement cet endroit. Il y avait plusieurs étals, ceux des marchands de légumes, de fruits, de viande, d’olives, de volailles.

SOUVENIRS D’UN HOMME DÉMODÉ I : PETITE FEMME À LA DJELLABA COULEUR

À l’époque, du fait de ma taille d’enfant, ces étals me paraissaient si immenses. Mais, surtout, ils formaient une sorte de labyrinthe où j’avais toujours peur de me perdre. Aussi, je me tenais à proximité de ma mère.

Après toutes ces décennies, et lorsque je suis revenu, tout seul, au marché, il me parut bien minuscule. Elle est si belle l’imagination de l’enfance !

Lorsque nous retournions chez nous, je remarquais, parfois, la présence d’une femme assise sur la fenêtre qui donnait sur ce qui nous servait de salon. Il s’agissait d’une femme de la soixantaine probablement, mais l’imagination d’enfant me la faisait présenter sans le moindre âge, et en dehors du temps.

Elle était habillée de façon élégante d’une djellaba qui n’était ni froissée ni sale. À côté d’elle, toujours présent, un mouchoir brodé d’une blancheur immaculée. La présence régulière de cette femme raffinée sur notre fenêtre m’intriguait. Aussi, un jour, je posai la question à ma mère :

— Pourquoi cette femme s’assoit, à chaque fois, dans notre fenêtre ? Pourquoi ce mouchoir brodé à côté d’elle ?

— Cette femme est veuve. Lorsque son mari est mort, elle s’est trouvée dans la pauvreté. Elle possède suffisamment de dignité pour ne pas mendier. Aussi, elle s’assoit dans notre fenêtre, dispose ce mouchoir brodé à côté d’elle pour que des âmes charitables y mettent quelques offrandes.

Ce fut ce que me dit ma mère.

SOUVENIRS D’UN HOMME DÉMODÉ I : PETITE FEMME À LA DJELLABA COULEUR

Malgré les décennies qui s’allongent, et bien que moi-même j’atteignisse un âge respectable, je n’ai jamais oublié cette dame habillée d’une djellaba couleur turquoise à côté d’un mouchoir brodé d’une blancheur immaculée. Parfois, elle vient hanter mes nuits.

Je n’aime pas l’argent, je n’aime pas la richesse, je ne jamais fréquenté les gens riches, qui en retour, ignorent mon existence. Je ne vais jamais aux grandes réceptions, où du reste personne ne songe à m’y inviter.

Eh bien que je sois médecin spécialiste, je ne possède pas de voiture. J’ai acheté mon appartement, situé dans une cité ouvrière avec mon salaire en m’expatriant à l’étranger. Ma meilleure fortune est lorsque, solitaire, je me promène à travers les chemins silencieux. À ce moment, je me retrouve avec mes souvenirs d’homme du passé.

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